Somalie / Djibouti : Guelleh oppose un veto à un futur président Darood, sauf “Saacid le docile”

Somalie / Djibouti : Guelleh oppose un veto à un futur président Darood, sauf “Saacid le docile”

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Lors de la commémoration du 25 anniversaire de la Conférence d’Arta, tenue à Djibouti sous le haut patronage du président Ismaïl Omar Guelleh (IOG) et de son homologue somalien Hassan Sheikh Mohamud, un événement en apparence symbolique a pris une tournure politique inattendue. En marge des festivités, Guelleh aurait profité de discussions privées avec plusieurs figures de l’opposition somalienne pour tracer, selon des sources concordantes, les lignes rouges de son influence sur la politique de Mogadiscio.

1. Guelleh : “Non à un futur président Darood, sauf Saacid le docile”

Devant un parterre composé notamment de Hassan Ali Khaireh et Sharif Sheikh Ahmed,  anciens Premiers ministres et président somaliens issus du clan Hawiye, Guelleh aurait tenu des propos sans équivoque : “Est-ce que vous êtes capables de rivaliser avec Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Farmaajo, à la prochaine élection présidentielle de 2026 ? Hassan Sheikh Mohamud peut encore le battre. Mais si nous devons avoir un président Darood, ce sera mon ami Abdi Farah Shirdon Said, dit Saacid. Au moins, lui, il n’est pas une menace pour nous.”

Cette phrase, rapportée par des témoins présents aux entretiens privés, résume la stratégie régionale d’Ismaïl Omar Guelleh : préserver le statu quo politique en Somalie tout en neutralisant les figures incontrôlables issues du clan Darood, historiquement rivales de l’influence de Guelleh dans la Corne de l’Afrique.

Le président djiboutien, qui se veut “faiseur de rois” à Mogadiscio depuis la Conférence d’Arta de 2000 — moment fondateur de la Somalie post-guerre civile —, semble vouloir maintenir un équilibre favorable à ses intérêts sécuritaires, économiques et politiques.

2. Les liens troubles entre Guelleh et Abdi Farah Shirdon Said (“Saacid”)

Abdi Farah Shirdon Said, connu sous le surnom de Saacid, fut Premier ministre de Somalie entre octobre 2012 et décembre 2013, nommé par le président Hassan Sheikh Mohamud. Issu du clan Marehan, une sous-fédération du Darood, Saacid est né à Dhusamareb, dans la région centrale de Galguduud. Malgré son appartenance au clan Darood, il est souvent perçu comme une figure consensuelle, voire malléable, dans un paysage politique fracturé par les alliances claniques et les influences étrangères.

Plusieurs observateurs à Mogadiscio et à Djibouti affirment que Saacid aurait longtemps été sous l’influence directe de Guelleh, alors chef du service de renseignement djiboutien dans les années 1990 avant son accession au pouvoir. Les deux hommes auraient tissé une relation personnelle et politique durable, Guelleh voyant en lui un interlocuteur “fiable” au sein du clan Darood — à l’opposé de figures plus nationalistes et indépendantes comme Farmaajo.

3. Pourquoi Farmaajo et les Darood dérangent le régime de Guelleh

Le désamour entre Ismaïl Omar Guelleh et Mohamed Abdullahi Mohamed “Farmaajo”, ancien président somalien (2017-2022), dépasse le simple cadre politique. Il s’agit avant tout d’une rivalité existentielle pour le peuple somalien qui est à la merci des organisations criminelles et terroristes.

Farmaajo, réputé pour son nationalisme et son refus des ingérences étrangères, s’est opposé à la mainmise de Guelleh et de ses réseaux crminelles sur les affaires somaliennes. Cette position a été perçue comme une menace directe aux intérêts du système informel que Guelleh aurait tissé à travers la région, notamment par le biais de “l’organisation Qawlaysato”, un réseau opaque mêlant affaires, politique et sécurité.

Selon ces sources, Qawlaysato — qualifiée de “mafia de la Corne de l’Afrique” — servirait à maintenir une mainmise économique, sécuritaire, politique et stratégique sur la Somalie. Le réseau s’étendrait jusqu’à la gestion de ressources minières (uranium, terres rares, etc.) dans la région du Galmudug, à l’exploitation des offshores pétrolières et au contrôle des systèmes de sécurité dans certaines zones-clés.

4. Une “messe mafieuse” déguisée en fiançailles ?

L’un des épisodes les plus controversés liés à cette organisation fut la cérémonie du 8 décembre 2022, lorsque le vestibule d’honneur du palais présidentiel de Djibouti fut ouvert pour accueillir les fiançailles de Haibado Ismaïl Omar Guelleh, la fille du président, avec Saadaq Omar Hassan, ex-chef de la sécurité de la région de Banadir (Mogadiscio) et ex-chef de guerre.

Cette réception privée dans un lieu hautement protocolaire avait suscité un tollé discret dans les milieux diplomatiques. En effet, la salle d’honneur de la présidence est habituellement réservée à l’accueil des chefs d’État étrangers ou des cérémonies officielles de la République.

Des observateurs y ont vu une “grande messe” dissimulée de Qawlaysato, comparable — dans la symbolique — à la fameuse réunion d’Apalachin de 1957, où les parrains de la mafia américaine s’étaient réunis sous le prétexte d’une fête familiale.

Pour ses détracteurs, cette cérémonie n’était pas un simple événement familial, mais une manifestation de pouvoir et d’allégeance entre acteurs économiques, politiques et sécuritaires de la région — un réseau au sein duquel Guelleh occuperait le rôle de “parrain”.

5. La Somalie, “vache à lait” d’un système mafieux régional

Il est indéniable que Guelleh et son organisation criminelle exercent une influence disproportionnée sur la politique somalienne.
Le port de Djibouti reste une plaque tournante économique majeure, et nombre d’entreprises opérant en Somalie transitent par des circuits financiers liés à des proches de Guelleh.

Selon des analystes régionaux, cette dépendance est stratégique :

Le système d’influence piloté par le régime djiboutien et l’organisation Qawlaysato poursuit plusieurs objectifs interdépendants, à la fois économiques, politiques et géopolitiques :

  1. Maintenir une mainmise sur la Somalie
    1. Contrôler les leviers essentiels de l’économie, de la sécurité et de la politique somaliennes afin de conserver une influence directe sur les décisions stratégiques du pays.
  2. Assurer la continuité de l’exploitation illégale des ressources naturelles
    1. Préserver l’accès et la gestion des minerais stratégiques (notamment l’uranium et les terres rares), en particulier dans la région de Galmudug, considérée comme une zone à fort potentiel économique.
  3. Renforcer la présence économique à travers des sociétés offshore
    1. Détourner ou canaliser les profits issus des exploitations pétrolières somaliennes via des structures offshore, échappant à la transparence et favorisant les intérêts privés liés au cercle mafieux de la Somalie et Djibouti.

Or, Mohamed Farmaajo — et plus largement le clan Darood qu’il incarne — défendent une vision plus souveraine de la Somalie, axée sur la consolidation de l’État et la fin des influences étrangères. C’est ce positionnement, et non son appartenance ethnique en soi, qui ferait de lui une “menace” pour Djibouti et pour les circuits de pouvoir qui gravitent autour du régime Guelleh.

6. Conclusion : la géopolitique de la loyauté

En affirmant “non à un président Darood, sauf Saacid”, Guelleh envoie un message clair : la Somalie doit rester dans le giron d’un pouvoir aligné sur Qawlaysato.
Cette déclaration, bien que tenue dans un cadre informel, illustre une tendance plus large : la personnalisation du pouvoir et la politisation des alliances ethniques dans la Corne de l’Afrique.

À mesure que se rapproche l’élection somalienne de 2026, ces manœuvres témoignent d’un bras de fer silencieux entre deux visions du futur somalien : celle d’une souveraineté nationale incarnée par Farmaajo et les alliés, et celle d’une Somalie sous tutelle régionale, soutenue par Guelleh et ses réseaux mafieux ou terroristes.

Hassan Cher

English translation of the article in French.

Somalia / Djibouti: Guelleh Vetoes a Future Darood President — Except “Docile Saacid”

During the commemoration of the 25th anniversary of the Arta Conference — held in Djibouti under the high patronage of President Ismaïl Omar Guelleh (IOG) and his Somali counterpart Hassan Sheikh Mohamud — what appeared to be a symbolic event took an unexpected political turn.
On the sidelines of the festivities, Guelleh reportedly used private discussions with several Somali opposition figures to draw, according to multiple consistent sources, the red lines of his influence over Mogadishu’s politics.

1. Guelleh: “No to a Future Darood President — Except Docile Saacid”

In a meeting attended by former Somali Prime Ministers and President Hassan Ali Khaireh and Sharif Sheikh Ahmed — both from the Hawiye clan — Guelleh is said to have spoken unequivocally:

“Are you capable of competing with Mohamed Abdullahi Mohamed, known as Farmaajo, in the upcoming 2026 presidential election? Hassan Sheikh Mohamud can still defeat him. But if we must have a Darood president, it will be my friend Abdi Farah Shirdon Said, known as Saacid. At least he is not a threat to us.”

This remark, reported by witnesses present during the private talks, sums up Ismaïl Omar Guelleh’s regional strategy: to preserve the political status quo in Somalia while neutralizing uncontrollable figures from the Darood clan — historically rivals to Djibouti’s influence in the Horn of Africa.

The Djiboutian president, who has styled himself as a “kingmaker” in Mogadishu since the 2000 Arta Conference — the founding moment of post–civil war Somalia — appears determined to maintain a political balance that favors his own security, economic, and strategic interests.

2. The Murky Ties Between Guelleh and Abdi Farah Shirdon Said (“Saacid”)

Abdi Farah Shirdon Said, better known as Saacid, served as Somalia’s Prime Minister from October 2012 to December 2013, appointed by President Hassan Sheikh Mohamud.
A member of the Marehan sub-clan of the Darood, Saacid was born in Dhusamareb, in central Galguduud. Despite his Darood lineage, he is widely viewed as a conciliatory — even pliable — figure within Somalia’s fragmented political landscape, which is shaped by clan loyalties and foreign influence.

Observers in both Mogadishu and Djibouti assert that Saacid has long been under the direct influence of Guelleh, who headed Djibouti’s intelligence services in the 1990s before becoming president. The two men are said to have forged a lasting personal and political relationship, with Guelleh viewing Saacid as a “reliable interlocutor” within the Darood — in contrast to more independent, nationalist figures such as Farmaajo.

3. Why Farmaajo and the Darood Threaten Guelleh’s Regime

The rift between Ismaïl Omar Guelleh and former Somali president Mohamed Abdullahi Mohamed “Farmaajo” (2017–2022) goes far beyond politics. It represents an existential rivalry over the future of a Somali nation caught between criminal and terrorist networks.

Farmaajo, known for his nationalism and opposition to foreign interference, openly resisted Guelleh’s grip — and that of his alleged criminal networks — on Somali affairs. This stance was perceived as a direct threat to the informal system Guelleh is said to have built across the region through what sources describe as the Qawlaysato organization, a shadowy network blending business, politics, and security interests.

According to these accounts, Qawlaysato — dubbed “the Horn of Africa Mafia” — serves to maintain economic, political, and strategic dominance over Somalia. The network allegedly extends its reach into the management of mineral resources (uranium, rare earths, etc.) in the Galmudug region, the exploitation of offshore oil fields, and the control of security systems in key territories.

4. A “Mafia Mass” Disguised as an Engagement Ceremony?

One of the most controversial episodes linked to this network was the December 8, 2022 event, when the presidential palace’s Hall of Honor in Djibouti hosted the engagement of Haibado Ismaïl Omar Guelleh, the president’s daughter, to Saadaq Omar Hassan — former security chief of Banadir (Mogadishu) and an ex-warlord.

This private reception in such a protocol-sensitive venue caused quiet discontent in diplomatic circles. The Hall of Honor is traditionally reserved for welcoming foreign heads of state or hosting official state ceremonies.

Observers likened the event to a “grand mafia mass” — symbolically comparable to the notorious 1957 Apalachin meeting, where American mafia bosses convened under the guise of a family celebration.

To Guelleh’s critics, the ceremony was not a mere family gathering but a display of power and allegiance among the region’s economic, political, and security elites — a network over which Guelleh presides as “the godfather.”

5. Somalia: The “Cash Cow” of a Regional Mafia System

It is undeniable that Guelleh and his criminal network wield disproportionate influence over Somali politics.
Djibouti’s port remains a major economic hub, and many companies operating in Somalia rely on financial circuits tied to Guelleh’s inner circle.

Regional analysts describe this dependency as deliberate and strategic.
The system of influence orchestrated by the Djiboutian regime and the Qawlaysato network pursues interdependent goals — economic, political, and geopolitical:

a) Maintaining Control Over Somalia

  • To dominate key levers of Somalia’s economy, security, and politics, thereby preserving direct influence over the country’s strategic decisions.

b) Ensuring the Continuation of Illegal Resource Exploitation

  • To secure access to and control over strategic minerals (notably uranium and rare earths), particularly in the resource-rich Galmudug region.

c) Expanding Economic Presence Through Offshore Entities

  • To divert or channel profits from Somali oil operations through offshore structures, avoiding transparency and serving private interests linked to the Djibouti–Somalia mafia nexus.

In contrast, Mohamed Farmaajo — and the broader Darood clan he represents — promote a sovereign vision for Somalia focused on state consolidation and independence from foreign meddling.
It is this nationalist position, rather than his clan identity per se, that makes Farmaajo a “threat” to Guelleh and the networks of power surrounding the Djiboutian regime.

6. Conclusion: The Geopolitics of Loyalty

By declaring “no to a Darood president — except Saacid,” Guelleh sends a clear message: Somalia must remain within the orbit of power aligned with Qawlaysato.

Though delivered in an informal context, the statement reflects a broader pattern — the personalization of power and the politicization of clan alliances in the Horn of Africa.

As Somalia’s 2026 elections draw closer, these maneuvers reveal a silent struggle between two visions for the country’s future: one of national sovereignty embodied by Farmaajo and his allies, and another of a Somalia kept under regional tutelage — sustained by Guelleh and his criminal or terrorist networks.

Hassan Cher

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Authored by: Hassan Cher Hared

Hassan Cher Hared