
Djibouti : une révision constitutionnelle qui risque de plonger le pays dans la guerre civile

Le 19 octobre 2025, la Commission de la législation et des droits humains de l’Assemblée nationale djiboutienne, élargie à celle du développement social et de la protection de l’environnement, s’est réunie pour examiner une proposition de révision de la Constitution. En présence de plusieurs ministres — Justice, Défense, Intérieur et Travail — ainsi que de la conseillère juridique du président Ismaïl Omar Guelleh, les députés ont donné un avis favorable au texte. Celui-ci sera désormais soumis au vote en séance plénière.
Derrière ce processus institutionnel apparemment ordinaire se cache pourtant une manœuvre politique aux implications explosives : le maintien au pouvoir d’un président âgé de 75 ans, qui avait pourtant juré en 2010 qu’il ne modifierait plus la Constitution.
- Une révision constitutionnelle sous haute tension
Officiellement, la révision en discussion vise à “adapter la loi fondamentale aux évolutions institutionnelles et sociales du pays”. Mais les fuites issues du Parlement laissent peu de doute : l’un des points centraux concernerait la suppression ou l’assouplissement de la limite d’âge présidentielle, fixée actuellement à 75 ans.
Or, Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, atteindra cette limite en 2026. En l’état actuel du droit, il ne pourrait donc pas briguer un nouveau mandat.
La révision envisagée apparaît dès lors comme une tentative à peine voilée de prolonger son règne, déjà l’un des plus longs du continent africain.
Cette évolution constitutionnelle, si elle devait être adoptée, romprait avec les promesses publiques faites par le chef de l’État lui-même. En 2010, lors de la précédente révision, Guelleh avait déjà supprimé la limite du nombre de mandats présidentiels, ouvrant la voie à sa réélection indéfinie. Mais il avait maintenu la limite d’âge, assurant qu’il “ne serait pas éternellement au pouvoir”. Quinze ans plus tard, cet engagement semble sur le point d’être trahi.
2. Une procédure légale, mais une légitimité contestable
La Constitution djiboutienne encadre clairement la révision de son texte. L’article 91 précise que l’initiative appartient soit au président, soit à un tiers des députés, et qu’elle doit être approuvée par référendum ou, à défaut, par une majorité des deux tiers de l’Assemblée nationale.
Dans un pays où toutes les institutions sont sous le contrôle du parti présidentiel, le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), la procédure parlementaire perd beaucoup de sa crédibilité démocratique. L’Assemblée nationale, dépourvue d’opposition réelle — les partis dissidents ayant été neutralisés, cooptés ou interdits —, ne constitue plus un contre-pouvoir.
Ainsi, la “révision constitutionnelle” se transforme en simple formalité administrative, une ratification d’une décision déjà prise au sommet de l’État.
Or, cette manipulation institutionnelle intervient dans un climat social et politique déjà explosif : chômage massif des jeunes, inégalités territoriales, corruption endémique et sentiment d’exclusion dans plusieurs communautés régionales. Dans ce contexte, toute tentative de prolonger indéfiniment un pouvoir vieillissant risque d’embraser le pays.
3. Les garde-fous constitutionnels menacés
L’article 92 de la Constitution interdit toute révision qui remettrait en cause “la forme républicaine du gouvernement” ou “le caractère pluraliste de la démocratie djiboutienne”. En principe, cette disposition protège la République contre toute dérive autocratique.
Mais dans la pratique, le pouvoir semble prêt à contourner cet obstacle en jouant sur les mots. En arguant que la suppression de la limite d’âge n’affecte ni la forme républicaine ni le pluralisme, le régime espère justifier l’amendement.
C’est là que réside le danger : en instrumentalisant la légalité pour légitimer une confiscation du pouvoir, le régime fragilise la légitimité même de l’État. Une révision de convenance, dictée par les intérêts d’un seul homme, mine les fondements du contrat social et ouvre la voie à des contestations violentes.
4. Un risque réel de déstabilisation
Djibouti a jusqu’ici échappé aux guerres civiles qui ont ravagé la Corne de l’Afrique. Sa stabilité relative, vantée par ses sbires du régime, repose sur un équilibre délicat entre le régime clanico-mafieux, les clans, les ethnies, les forces armées, etc.
Mais cet équilibre est aujourd’hui plus fragile qu’il n’y paraît. En s’accrochant au pouvoir, Guelleh risque de rompre ce fragile consensus. Des groupes armés, restés dormants depuis les accords de paix de 2001, pourraient reprendre les armes. Dans les régions du Nord et de l’Ouest, où le sentiment d’abandon est fort, le spectre d’une insurrection locale n’est pas à écarter.
Par ailleurs, les forces de sécurité djiboutiennes, bien que puissantes, ne sont pas homogènes. Une fracture dans l’armée ou au sein de la gendarmerie pourrait rapidement dégénérer en affrontements internes.
5. Les partenaires étrangers face à un dilemme
Djibouti occupe une position géostratégique unique : située au détroit de Bab-el-Mandeb, elle abrite les bases militaires des États-Unis, de la France, de la Chine, du Japon et de l’Italie. Cette concentration d’intérêts étrangers explique en partie la tolérance internationale envers les dérives du régime.
Avec la révision constitutionnelle des troubles internes risquent de se déclencher et ceconsensus de façade pourrait s’effondrer.
Les partenaires étrangers se retrouveraient alors face à un dilemme : continuer à soutenir un régime autoritaire ou risquer un vide politique dans une région cruciale pour le commerce mondial et la sécurité maritime.
6. Conclusion : une fuite en avant dangereuse
La tentative de modifier la Constitution pour permettre à Ismaïl Omar Guelleh de se maintenir au pouvoir constitue une fuite en avant politique aux conséquences potentiellement désastreuses.
En violant l’esprit — sinon la lettre — de la Constitution, le régime affaiblit la confiance du peuple dans les institutions et alimente un ressentiment qui pourrait, à terme, dégénérer en conflit civil.
Djibouti, souvent citée comme “havre de stabilité” dans une région en crise, risque aujourd’hui de devenir un nouvel épicentre de tensions et de violences.
La sagesse politique exigerait au contraire une transition pacifique et négociée du pouvoir, seule capable de préserver la paix civile et l’intégrité de l’État.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Djibouti: A Constitutional Revision That Could Plunge the Country into Civil War
On October 19, 2025, the Djiboutian National Assembly’s Committee on Legislation and Human Rights, expanded to include the Committee on Social Development and Environmental Protection, met to examine a proposal to amend the Constitution. In the presence of several ministers — Justice, Defense, Interior, and Labor — as well as the legal adviser to President Ismaïl Omar Guelleh, the deputies issued a favorable opinion on the text. It will now be submitted to a plenary session for debate and vote.
Behind this seemingly ordinary institutional process lies a political maneuver with explosive implications: the extension of power for a 75-year-old president who had publicly vowed in 2010 never to amend the Constitution again.
1. A Constitutional Revision Under High Tension
Officially, the proposed amendment seeks to “adapt the fundamental law to the institutional and social evolution of the country.” Yet parliamentary leaks leave little room for doubt: one of its central provisions would reportedly remove or relax the presidential age limit, currently set at 75.
Ismaïl Omar Guelleh, who has been in power since 1999, will reach that age in 2026. Under the current Constitution, he would therefore be ineligible to run again.
The proposed revision thus appears to be a barely disguised attempt to prolong his rule, already one of the longest on the African continent.
If adopted, this constitutional change would break with the president’s own public promises. In 2010, during a previous revision, Guelleh had already abolished presidential term limits, paving the way for indefinite reelection. But he maintained the age cap, declaring he “would not remain in power forever.” Fifteen years later, that commitment seems on the verge of being betrayed.
2. A Legal Procedure, But Questionable Legitimacy
Djibouti’s Constitution clearly regulates its own amendment process. Article 91 states that the initiative may come from the president or one-third of the deputies and must be approved either by referendum or, alternatively, by a two-thirds majority in the National Assembly.
Formally, everything appears lawful. The problem is not legality — it is legitimacy.
In a country where all institutions are under the control of the ruling party, the Rassemblement Populaire pour le Progrès (RPP), the parliamentary process carries little democratic credibility. The National Assembly, devoid of a genuine opposition — with dissenting parties either co-opted, neutralized, or banned — no longer functions as a counterweight.
As a result, the “constitutional revision” amounts to a mere administrative formality, a ratification of a decision already made at the top of the state.
This institutional manipulation occurs amid a social and political powder keg: massive youth unemployment, deep regional inequalities, endemic corruption, and widespread feelings of exclusion among various communities. In such a context, any attempt to perpetuate an aging regime risks setting the country ablaze.
3. Constitutional Safeguards Under Threat
Article 92 of the Constitution prohibits any revision that would undermine “the republican form of government” or “the pluralistic character of Djiboutian democracy.” In principle, this clause protects the Republic from autocratic drift.
In practice, however, the regime appears ready to circumvent these safeguards through semantic manipulation. By arguing that the removal of the age limit does not alter the republican form or pluralism, the government hopes to justify the amendment.
This is where the real danger lies: using legality to legitimize a power grab undermines the very legitimacy of the state. A self-serving revision, dictated by the interests of one man, erodes the foundations of the social contract and opens the door to violent unrest.
4. A Real Risk of Destabilization
Djibouti has so far been spared the civil wars that have devastated the Horn of Africa. Its relative stability — often touted by the regime’s loyalists — rests on a fragile equilibrium among clan networks, ethnic groups, and the security apparatus.
That balance, however, is now more precarious than it seems. By clinging to power, Guelleh risks shattering the country’s fragile consensus. Dormant armed groups from the pre-2001 peace era could take up arms again. In the northern and western regions, where resentment and neglect run deep, the specter of local insurrections cannot be ruled out.
Moreover, the Djiboutian security forces, though powerful, are far from monolithic. A fracture within the army or gendarmerie could quickly escalate into internal conflict.
5. Foreign Partners Face a Dilemma
Djibouti occupies a unique geostrategic position: located at the Bab-el-Mandeb Strait, it hosts military bases from the United States, France, China, Japan, and Italy. This concentration of foreign interests explains, at least partly, the international tolerance for the regime’s authoritarian excesses.
As the constitutional revision stirs domestic unrest, that fragile façade of consensus could collapse.
Foreign partners would then face a stark choice: continue backing an entrenched authoritarian regime or risk a political vacuumin one of the world’s most vital regions for trade and maritime security.
6. Conclusion: A Dangerous Political Escalation
The attempt to amend the Constitution to allow Ismaïl Omar Guelleh to remain in power represents a reckless political gamble with potentially disastrous consequences.
By violating the spirit — if not the letter — of the Constitution, the regime undermines public trust in institutions and fuels resentment that could eventually spiral into civil conflict.
Djibouti, long portrayed as a “haven of stability” in a troubled region, now risks becoming a new epicenter of tension and violence.
True political wisdom would instead call for a peaceful and negotiated transition of power, the only path capable of preserving civil peace and the integrity of the state.
Hassan Cher