Djibouti : Guelleh face aux exigences du GAFI, Un bilan alarmant sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme 

Djibouti : Guelleh face aux exigences du GAFI, Un bilan alarmant sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme 

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Le rapport d’évaluation mutuelle de Djibouti, publié en novembre 2024 par le Groupe d’action financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENAFATF), révèle des manquements graves aux standards internationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux (BC) et le financement du terrorisme (FT). Malgré des réformes récentes, le pays ne respecte pas pleinement les 40 recommandations du GAFI, exposant sa stabilité financière et sécuritaire à des risques majeurs. Voici les principaux points de non-conformité. Lien : Republic of Djibouti MER_Fr.pdf.coredownload.inline.pdf

1. Évaluation et gestion des risques (Recommandations 1 et 2) 

Violation flagrante : 

– Compréhension incomplète des risques : Djibouti identifie des menaces internes (détournement de fonds, trafic de stupéfiants) mais ignore des crimes à haut risque comme la corruption, la traite d’êtres humains ou la fraude fiscale (p. 11, 22). L’évaluation nationale des risques (ENR), bien qu’existentielle, repose sur des données statistiques « insuffisantes » et exclut des secteurs clés (économie informelle, zones franches). 

– Stratégie nationale inefficace : Adoptée début 2024, elle n’est « pas fondée sur une approche basée sur les risques » (p. 53) et ne priorise pas les menaces transfrontalières, pourtant cruciales pour un pays carrefour comme Djibouti. 

– Absence de mesures différenciées : Aucune dérogation aux obligations de vigilance (simplifiée pour les risques faibles, renforcée pour les élevés) n’est appliquée (p. 11). 

 2. Cadre juridique opérationnel (Recommandations 3, 4, 5, 6, 7, 8) 

Défaillances critiques : 

– Enquêtes et poursuites symboliques : Le cadre légal permet d’identifier les cas de BC, mais les autorités se concentrent sur les « infractions sous-jacentes » (escroquerie, trafic) sans traiter spécifiquement le blanchiment (p. 12). Un seul cas de BC a été jugé en 2024 (p. 7). 

– Confiscation quasi-inexistante : Malgré un cadre juridique « existant », la saisie des produits du crime est « peu développée » par manque de mécanismes et de formation (p. 13). Les statistiques de confiscation liées à la corruption ou au trafic de migrants sont « limitées » (p. 20). 

– Financement du terrorisme impuni : Aucune condamnation pour FT malgré des cas reconnus (p. 13). Le pays « manque d’une stratégie nationale cohérente » et ne comprend pas les circuits de financement des groupes terroristes (Al-Shabaab, Al-Qaïda, FRUD Armé) (p. 49-50). 

– Sanctions financières non appliquées : Aucun mécanisme opérationnel pour geler les avoirs liés au terrorisme (résolutions 1267/1373 de l’ONU) (p. 13, 124). Les entreprises non financières ignorent leurs obligations (p. 14). 

– Organismes à but non lucratif non contrôlés : Aucune mesure de supervision pour prévenir leur exploitation par le FT (Recommandation 8, p. 220). 

3. Mesures préventives (Recommandations 9 à 23) 

Secteur financier vulnérable : 

– Secteur informel dominant : Il représente 32% du PIB (p. 25) et échappe aux contrôles, facilitant le BC/FT via les flux d’espèces (USD et DJF). 

– Déclarations de soupçon rares : Seules quelques banques déclarent des opérations suspectes. Les auxiliaires financiers (19 acteurs) n’ont soumis « qu’une seule déclaration » entre 2018 et 2024 (p. 14). Les entreprises non financières (EPNFD) : zéro déclaration (p. 14). 

– Vigilance client défaillante : Les petites banques et institutions évitent les clients à risque sans les signaler (p. 8). Les assurances, faute de produits d’épargne, n’appliquent « aucune mesure » (p. 14). 

– Nouvelles technologies non régulées : Les actifs virtuels et prestataires associés (PSAV) ne font l’objet d’ »aucun contrôle » (Recommandation 15, p. 240 : évaluée NC). 

4. Supervision et transparence (Recommandations 24, 25, 26, 27, 28, 34, 35) 

Contrôles inefficaces : 

– Bénéficiaires effectifs opaques : Aucun mécanisme ne garantit la mise à jour des données sur les propriétaires réels de personnes morales (p. 15, 38). Les autorités y accèdent « par demandes écrites », ralentissant les enquêtes (p. 39). 

– Sanctions administratives absentes : Aucune sanction liée à la LBC/FT n’a été imposée à ce jour (p. 15). Les superviseurs des EPNFD (experts-comptables, notaires) manquent de moyens coercitifs (p. 271). 

– Supervision non fondée sur les risques : La Banque centrale effectue des contrôles mais sans « approche par les risques » systématique (p. 15). Les notations LBC/FT sont « incomplètes » (p. 15). 

5. Coopération internationale (Recommandations 36 à 40) 

Isolement préoccupant : 

– Demandes ciblant des crimes mineurs : L’entraide judiciaire se limite au détournement de fonds ou au trafic de stupéfiants, ignorant le FT et la restitution des avoirs (p. 16). 

– ANRF inactive : L’agence financière « ne sollicite pas la coopération internationale » par manque de ressources (p. 16). 

– Échanges sectoriels inexistants : Aucune coopération sur la transparence des bénéficiaires effectifs ou la supervision des institutions financières avec des homologues étrangers (p. 16). 

Un tableau technique accablant 

Le rapport attribue à Djibouti des notations sévères dans son annexe technique : 

– Efficacité globale : « Faible » pour 8 des 11 résultats immédiats (p. 17). 

– Conformité : 15 recommandations sur 40 sont « partiellement conformes » (PC) ou « non conformes » (NC), dont les fondamentales : R.1 (PC), R.4 (PC), R.5 (PC), R.6 (PC), R.8 (PC), R.15 (NC) (p. 18-19). 

Actions prioritaires : Une feuille de route urgente 

Le MENAFATF exige que Djibouti

a. Mette à jour d’urgence son ENR pour inclure la corruption, les flux transfrontaliers et le FT interne (FRUD Armé). 

b. Systématise les enquêtes financières parallèles pour tous les crimes générant des profits. 

c. Opérationnalise le gel des avoirs terroristes (SFC) et forme les institutions financières. 

d. Renforce la supervision des banques, change manuel et EPNFD avec des sanctions dissuasives. 

e. Améliore la transparence des bénéficiaires effectifs et la coopération internationale. 

Conclusion 

Si Djibouti a initié des réformes (loi de mars 2024, stratégie nationale), le rapport souligne un « décalage » persistant entre les risques et les actions (p. 11). Dans un contexte régional instable (voisinage avec la Somalie, le Yémen), ces faiblesses font de son système financier une cible pour les réseaux criminels et terroristes. La balle est désormais dans le camp des autorités djiboutiennes : sans mise en œuvre rapide des recommandations, le pays s’expose à un grey-listing aux conséquences économiques sévères.

Hassan Cher

The English translation of the article in French.

Djibouti: Guelleh faces FATF demands, An alarming assessment of the fight against money laundering and the financing of terrorism

The Mutual Evaluation Report on Djibouti, published in November 2024 by the Middle East and North Africa Financial Action Task Force (MENAFATF), reveals serious shortcomings in meeting international standards in the fight against money laundering (ML) and the financing of terrorism (FT). Despite recent reforms, the country does not fully comply with the FATF’s 40 recommendations, exposing its financial and security stability to major risks. Here are the main points of non-compliance. Link: Republic of Djibouti MER_Fr.pdf.coredownload.inline.pdf

1. Risk assessment and management (Recommendations 1 and 2)

Flagrant breach :

– Incomplete understanding of risks: Djibouti identifies internal threats (embezzlement, drug trafficking) but ignores high-risk crimes such as corruption, human trafficking or tax evasion (p. 11, 22). The National Risk Assessment (NRA), although essential, is based on « insufficient » statistical data and excludes key sectors (informal economy, free trade zones). 

– Ineffective national strategy: Adopted in early 2024, it is « not based on a risk-based approach » (p. 53) and does not prioritize cross-border threats, which are crucial for a crossroads country like Djibouti. 

– No differentiated measures: No derogation from vigilance obligations (simplified for low risks, reinforced for high risks) is applied (p. 11). 

 2. Operational legal framework (Recommendations 3, 4, 5, 6, 7, 8)

Critical deficiencies :

– Symbolic investigations and prosecutions: The legal framework enables BC cases to be identified, but the authorities focus on « underlying offences » (swindling, trafficking) without dealing specifically with money laundering (p. 12). Only one case of BC was tried in 2024 (p. 7). 

– Virtually non-existent confiscation: Despite an « existing » legal framework, seizure of the proceeds of crime is « underdeveloped » due to a lack of mechanisms and training (p. 13). Confiscation statistics linked to corruption or migrant smuggling are « limited » (p. 20). 

– Impunity for terrorist financing: No convictions for FT despite recognized cases (p. 13). The country « lacks a coherent national strategy » and does not understand the financing channels of terrorist groups (Al-Shabaab, Al-Qaeda, Armed FRUD) (p. 49-50). 

– Financial sanctions not applied: No operational mechanism to freeze assets linked to terrorism (UN resolutions 1267/1373) (p. 13, 124). Non-financial companies ignore their obligations (p. 14). 

– Non-profit organizations not supervised: No supervisory measures to prevent their exploitation by the FT (Recommendation 8, p. 220).

3. Preventive measures (Recommendations 9 to 23)

Vulnerable financial sector :

– Dominant informal sector: accounts for 32% of GDP (p. 25) and escapes controls, facilitating BC/FT via cash flows (USD and DJF). 

– Only a few banks report suspicious transactions. Financial auxiliaries (19 players) submitted « only one report » between 2018 and 2024 (p. 14). Non-financial companies (EPNFD): zero reports (p. 14). 

– Failing customer vigilance: Small banks and institutions avoid risky customers without reporting them (p. 8). Insurance companies, lacking savings products, apply « no measures » (p. 14). 

– Unregulated new technologies : Virtual assets and associated service providers (VASPs) are subject to « no controls » (Recommendation 15, p. 240: rated NC). 

4. Supervision and transparency (Recommendations 24, 25, 26, 27, 28, 34, 35)

Ineffective controls :

– Beneficial owners opaque: No mechanism to ensure that data on beneficial owners of legal entities is kept up to date (p. 15, 38). Authorities gain access « through written requests », slowing down investigations (p. 39). 

– No administrative sanctions : No AML/CFT-related sanctions have been imposed to date (p. 15). EPNFD supervisors (chartered accountants, notaries) lack coercive means (p. 271). 

– Non-risk-based supervision: The Central Bank carries out controls, but without a systematic “risk-based approach” (p. 15). AML/CFT ratings are « incomplete » (p. 15). 

5. International cooperation (Recommendations 36 to 40)

Isolation of concern:

– Requests targeting minor crimes: Mutual legal assistance is limited to embezzlement or drug trafficking, ignoring FT and asset restitution (p. 16). 

– ANRF inactive: The financial agency « does not seek international cooperation » for lack of resources (p. 16). 

– No sectoral exchanges: No cooperation on beneficial owner transparency or financial institution supervision with foreign counterparts (p. 16). 

A damning technical picture

The report gives Djibouti severe ratings in its technical appendix:

– Overall effectiveness: « Poor » for 8 out of 11 immediate outcomes (p. 17). 

– Compliance: 15 out of 40 recommendations are « partially compliant » (PC) or « non-compliant » (NC), including the fundamental ones: R.1 (PC), R.4 (PC), R.5 (PC), R.6 (PC), R.8 (PC), R.15 (NC) (p. 18-19). 

Priority actions: An urgent roadmap

MENAFATF demands that Djibouti :

a. Urgently update its ENR to include corruption, cross-border flows and internal FT (Armed FRUD). 

b. Systematize parallel financial investigations for all profit-generating crimes. 

c. Operationalize the freezing of terrorist assets (SFC) and train financial institutions. 

d. Strengthen supervision of banks, manual exchange and EPNFD with dissuasive sanctions. 

e. Improve beneficial owner transparency and international cooperation. 

Conclusion

While Djibouti has initiated reforms (law of March 2024, national strategy), the report highlights a persistent « gap » between risks and actions (p. 11). In an unstable regional context (neighboring Somalia, Yemen), these weaknesses make its financial system a target for criminal and terrorist networks. The ball is now in the court of the Djibouti authorities: without rapid implementation of the recommendations, the country is exposed to a grey-listing with severe economic consequences.

Hassan Cher

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Authored by: Hassan Cher Hared

Hassan Cher Hared