Djibouti / USA: Cynisme diplomatique, quand Ismaïl Omar Guelleh joue les victimes devant le White House

Djibouti / USA: Cynisme diplomatique, quand Ismaïl Omar Guelleh joue les victimes devant le White House

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New York, 23 septembre 2025 — La 80e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, placée cette année sous le signe du multilatéralisme et de la recherche de solutions globales, a offert un théâtre singulier : celui d’un président africain venu plaider contre des trafics qu’on l’accuse lui-même d’encourager. Ismaïl Omar Guelleh, à la tête de Djibouti depuis 1999, a multiplié les manœuvres pour décrocher un tête-à-tête avec Donald Trump. Mais la Maison Blanche, rappelant que « Djibouti n’est pas une priorité », a opposé un refus poli.

Ce n’est finalement pas le président américain, mais Massad Boulos, conseiller spécial pour l’Afrique, qui a accepté d’accorder à Guelleh une entrevue. Une rencontre de second rang, mais que la Radio-Télévision de Djibouti (RTD) a aussitôt travestie en « moment historique » pour les relations bilatérales.

  1. Quand le pyromane joue au pompier

À Washington, la scène a laissé pantois les fonctionnaires américains présents. Car Guelleh n’a pas abordé les thèmes centraux de la session onusienne — climat, intelligence artificielle, droits humains — mais s’est lancé dans une diatribe sur le trafic d’armes en mer Rouge et la menace des Houthis.

Problème : son propre régime est régulièrement accusé par des rapports internationaux d’alimenter, directement ou indirectement, ces mêmes réseaux de contrebande. La gêne a été telle que certains diplomates américains, selon des témoins, ont dû réprimer un éclat de rire. L’image d’un chef d’État dénonçant des pratiques auxquelles il serait lui-même lié relevait, à leurs yeux, davantage de la comédie que du plaidoyer diplomatique.

L’analogie est cruelle mais éloquente : quand un bandit se plaint du banditisme, il n’exprime pas une indignation sincère mais une hypocrisie assumée. En feignant d’être victime, il cherche avant tout à se disculper, à détourner l’attention de ses propres turpitudes, voire à monnayer un rôle de partenaire incontournable auprès des grandes puissances.

2. L’art de la mise en scène à Djibouti

De retour sur les ondes de la RTD, le contraste entre la réalité et la propagande était saisissant. La journaliste chargée de relater la rencontre s’est contentée de répéter mécaniquement une rhétorique convenue : une « rencontre discrète mais d’une densité rare », « un échange stratégique pour la sécurité en mer Rouge », « une coopération ancrée dans la durée ». À tel point que ses redondances trahissaient le vide du contenu.

En vérité, il n’a jamais été question d’accords nouveaux ni de feuille de route bilatérale, encore moins d’engagements concrets. La communication du régime s’est contentée d’exagérer l’importance d’un entretien secondaire afin de nourrir, auprès de l’opinion nationale, l’image d’un président courtisé par Washington. Un artifice classique des régimes autoritaires : transformer une déconvenue diplomatique en victoire symbolique.

3. Cynisme ou stratégie ?

Cette séquence interroge sur la nature du comportement de Guelleh. Est-ce un simple cynisme, une hypocrisie assumée, ou une ruse tactique ?

  • Cynisme : le président djiboutien dénonce des trafics dont son système profite, avec un mépris affiché pour la vérité.
  • Hypocrisie : il joue la posture de partenaire responsable tout en contribuant à l’instabilité qu’il prétend combattre.
  • Ruse : en portant le débat devant Washington, il tente de brouiller les cartes, se présentant comme un allié indispensable contre les Houthis pour mieux consolider son pouvoir.

Quelle que soit l’interprétation, la conclusion demeure la même : Guelleh n’agit pas dans l’intérêt de la paix régionale, mais dans celui de sa propre survie politique.

4. La solitude d’un président

Le refus de Donald Trump de le recevoir illustre cette réalité : Djibouti, malgré sa position stratégique au carrefour de la mer Rouge et du golfe d’Aden, n’est plus considéré comme une priorité directe par Washington. Les bases militaires étrangères qui pullulent dans le pays garantissent déjà un statu quo sécuritaire, mais elles ne suffisent plus à masquer la fragilité du régime.

L’insistance de Guelleh pour arracher une audience présidentielle traduit moins une ambition diplomatique qu’une quête d’image. Face à une population djiboutienne exaspérée par l’autoritarisme, la pauvreté persistante et la corruption, chaque séquence à l’international doit être exploitée pour légitimer son pouvoir. Quitte à transformer une entrevue de courtoisie en « sommet stratégique ».

5. Le décalage avec l’esprit de l’ONU

Ironie ultime : alors que l’Assemblée générale 2025 se voulait un moment de réflexion sur les droits humains, le climat et la coopération technologique, Guelleh n’a rien apporté sur ces sujets. Ses préoccupations, résolument personnelles et sécuritaires, démontrent le fossé entre l’agenda global et les priorités d’un régime qui cherche avant tout à se protéger.

Le cynisme apparaît ici dans toute sa nudité : se présenter à New York comme un défenseur de la stabilité régionale, quand on est accusé de contribuer aux désordres qu’on dénonce. Une posture qui fait sourire les diplomates mais qui, sur le terrain, entretient les cycles de violence et d’impunité.

6. Un théâtre qui se répète

Cet épisode n’est pas isolé. Depuis plusieurs décennies, Ismaïl Omar Guelleh a perfectionné un double discours : celui du partenaire stratégique indispensable, à destination des puissances étrangères, et celui du chef autoritaire qui muselle toute contestation interne. L’affaire de New York n’est qu’un nouvel acte de cette pièce bien rodée.

La différence, en 2025, c’est que l’audience internationale rit de moins en moins à cette comédie.

Hassan Cher

The English translation of the article in French.


Djibouti / USA: Diplomatic Cynicism – When Ismaïl Omar Guelleh Plays the Victim Before the White House

New York, September 23, 2025 — The 80th session of the United Nations General Assembly, held this year under the banner of multilateralism and the search for global solutions, offered a striking spectacle: an African president pleading against trafficking he himself is accused of fostering. Ismaïl Omar Guelleh, who has ruled Djibouti since 1999, maneuvered relentlessly to secure a face-to-face meeting with Donald Trump. But the White House, stressing that “Djibouti is not a priority,” politely declined.

In the end, it was not the American president but Massad Boulos, Special Adviser for Africa, who granted Guelleh an interview. A second-tier encounter, which Djibouti’s state broadcaster, Radio-Télévision de Djibouti (RTD), promptly distorted into a “historic moment” for bilateral relations.

1. When the Arsonist Plays Firefighter

In Washington, the scene left U.S. officials baffled. Instead of addressing the central themes of the UN session — climate, artificial intelligence, human rights — Guelleh launched into a tirade about arms trafficking in the Red Sea and the threat posed by the Houthis.

The problem: his own regime is regularly accused in international reports of fueling, directly or indirectly, those very smuggling networks. The embarrassment was such that, according to witnesses, some American diplomats had to stifle their laughter. To them, the image of a head of state denouncing practices with which he himself is linked looked less like diplomacy and more like comedy.

The analogy is cruel yet telling: when a bandit complains about banditry, it is not genuine indignation but deliberate hypocrisy. By posing as a victim, he seeks above all to clear his name, distract from his own misconduct, or bargain for a role as an indispensable partner with global powers.

2. The Art of Staging in Djibouti

Back on RTD’s airwaves, the gap between reality and propaganda was glaring. The journalist tasked with reporting on the meeting simply repeated a formulaic rhetoric: a “discreet but rarefied encounter,” “a strategic exchange on Red Sea security,” “a cooperation anchored in the long term.” Her redundancies betrayed the emptiness of the content.

In truth, there was never any discussion of new agreements, bilateral roadmaps, or concrete commitments. The regime’s communication merely inflated the importance of a minor courtesy call to project, to domestic opinion, the image of a president courted by Washington. A classic tactic of authoritarian regimes: turning a diplomatic snub into a symbolic victory.

3. Cynicism or Strategy?

This episode raises questions about Guelleh’s behavior. Is it sheer cynicism, blatant hypocrisy, or tactical cunning?

  • Cynicism: the Djiboutian president denounces trafficking from which his system profits, with open contempt for the truth.
  • Hypocrisy: he postures as a responsible partner while contributing to the very instability he claims to fight.
  • Ruse: by bringing the issue before Washington, he seeks to muddy the waters, presenting himself as an indispensable ally against the Houthis to shore up his own power.

Whatever the interpretation, the conclusion remains the same: Guelleh is not acting in the interest of regional peace, but in the interest of his own political survival.

4. The Loneliness of a President

Trump’s refusal to meet him illustrates the reality: despite Djibouti’s strategic position at the crossroads of the Red Sea and the Gulf of Aden, Washington no longer sees it as a direct priority. The foreign military bases that crowd the country already guarantee a fragile security status quo, but they cannot conceal the regime’s fragility.

Guelleh’s insistence on extracting a presidential audience speaks less to diplomatic ambition than to image-building. Faced with a Djiboutian population weary of authoritarianism, persistent poverty, and corruption, every international appearance must be exploited to legitimize his rule — even if that means recasting a mere courtesy meeting as a “strategic summit.”

5. The Gap with the UN’s Spirit

The ultimate irony: while the 2025 General Assembly aimed to reflect on human rights, climate, and technological cooperation, Guelleh contributed nothing on these issues. His concerns, narrowly personal and security-driven, highlighted the gulf between the global agenda and the priorities of a regime intent only on self-preservation.

Here, cynicism stands exposed: presenting oneself in New York as a defender of regional stability while being accused of fueling the very disorders one denounces. A posture that may amuse diplomats in private, but that, on the ground, perpetuates cycles of violence and impunity.

6. A Theater That Repeats Itself

This episode is not an exception. For decades, Ismaïl Omar Guelleh has perfected a double discourse: that of the indispensable strategic partner for foreign powers, and that of the authoritarian ruler who stifles all internal dissent. The New York affair is merely the latest act in this well-rehearsed play.

The difference in 2025 is that the international audience is laughing less and less at this comedy.

Hassan Cher

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Authored by: Hassan Cher Hared

Hassan Cher Hared