Somalie/Djibouti : comment un réseau halieutique transnational a contourné les lois somaliennes et internationales.

Somalie/Djibouti : comment un réseau halieutique transnational a contourné les lois somaliennes et internationales.

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Les eaux somaliennes figurent parmi les plus poissonneuses au monde, mais structurées par un État fragile, elles sont le théâtre d’un pillage accru : filières de pêche illégale, documentation falsifiée, compagnies offshore et complicité d’autorités publiques. Le rapport Fishy Business de GI-TOC expose comment NEFCO, et un réseau international associé, ont profité de cette vulnérabilité pour violer tant la législation somalienne que des normes internationales.

1. Contexte législatif somalien et violation des règles nationales

La législation somalienne fait de l’exploitation des ressources halieutiques un enjeu stratégique. Selon la loi fédérale de 2014, les navires étrangers ne sont pas autorisés à pêcher dans la zone des 24 milles nautiques à partir du littoral. Par ailleurs, l’accord provisoire de partage des ressources d’Addis-Abeba (mars 2019) avait attribué la compétence d’attribution des licences au gouvernement fédéral pour les zones au delà des 24 milles, tandis que les États fédérés géraient les zones proches-côtes.
Pourtant, le rapport documente que la région de Puntland a continué à délivrer des licences à des navires étrangers — gillnetters iraniens notamment — malgré l’interdiction explicite. Exemple : entre le 10 septembre et le 18 octobre 2020, 52 navires iraniens ont ainsi été « licenciés » par le ministère des Pêches de Puntland.
De plus, la société NEFCO — opérant notamment depuis Puntland — a obtenu des licences de pêche et des certificats d’exportation (catch certificates, certificats sanitaires) pour une flotte de chalutiers (« trawlers ») alors même que la loi somalienne interdit la pêche par chalut en eaux somaliennes.
Ces agissements constituent des violations directes des lois nationales : attribution illégale de licences par des entités non compétentes, contournement de zone d’exclusion de 24 milles, usage de chalut interdits. Ils fragilisent la gouvernance halieutique somalienne et privent l’État de ses redevances légitimes.

2. Violation des obligations internationales et normatives

Au-delà de la loi somalienne, plusieurs normes internationales sont enfreintes.
• Les activités de type IUU (Illegal, Unreported, Unregulated) sont en soi un manquement aux obligations de l’Food and Agriculture Organization (FAO) et aux régimes régionaux de pêche comme la Indian Ocean Tuna Commission (IOTC), notamment lorsqu’il s’agit de navires « running dark » (AIS désactivé) ou d’engins interdits (filets excédant la longueur permise).
• Le re-pavillonage, la falsification des documents d’exportation (catch/health certificates) et l’usage de sociétés écrans constituent des violations du droit maritime international ainsi que des conventions contre le blanchiment et la fraude documentaire.
• Les cas documentés de travail forcé et de traite d’êtres humains (ex : le navire Marwan 1, ancien « Somali 7 ») relèvent de la violation du droit international des droits de l’homme, des normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et de la convention de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) sur les conditions de travail à bord.
En somme, les pratiques identifiées ne sont pas uniquement illégales dans le contexte somalien, mais inscrivent leur cadre dans un mode opératoire transnational contournant les régulations globales.

3. Le cas NEFCO : co-option de l’État et exportation vers la Chine

Le rapport met en lumière le rôle de NEFCO, mais aussi des liens étroits entre cette entreprise, des responsables politiques et des ministères fédéraux. L’entreprise a obtenu des certificats d’exportation « irrégu­liers » après 2019, en lien avec des ministres de la Fédération somalienne.
NEFCO exploitait une flotte de chalutiers-trawl (« Butiyalo One/Two/Three», « Haysimo Two ») enregistrés sous pavillon somalien après re-flaggage depuis des navires sud-coréens, tout en opérant des échanges commerciaux vers la Chine via des partenaires au Golfe et à Djibouti.
Ces opérations pour le moins suspectes présentent plusieurs violations :

  • Attribution de licences trawl alors que la loi punit ce type de pêche.
  • Exportation sous certificats sanitaires potentiellement falsifiés ou délivrés à tort.
  • Influence politique directe permettant l’obtention d’autorisation non conformes.
  • Usage de front companies et de structures offshore pour masquer l’UBO (bénéficiaire effectif), ce qui rend difficile le suivi et l’application des sanctions internationales.

4. Impacts environnementaux, institutionnels et socio-économiques

Les conséquences de cette chaîne de violations sont multiples. D’un point de vue environnemental, l’usage de chaluts dans la zone somalienne fragilise les écosystèmes marins, notamment près des côtes de Puntland où se situe un écosystème sensible.
Institutionnellement, ce type de pratiques contribue à ce que le rapport qualifie de « capture de l’État » : les entreprises privées exploitent des liens politiques pour accéder à des privilèges, affaiblissant les institutions halieutiques du pays.
Sur le plan socio-économique, la pêche artisanale locale est marginalisée : les licences délivrées à des fleets étrangères réduisent l’accès des pêcheurs somaliens aux ressources, ce qui alimente le sentiment d’injustice et peut encourager des pratiques illégales ou la piraterie maritime.
Enfin, sur le plan international, la chaîne d’export accuse une perte potentielle pour l’État somalien de redevances légitimes, et présente un risque systémique de blanchiment, de travail forcé et de corruption.

5. Plaidoyer et recommandations

Le rapport GI-TOC propose plusieurs axes d’action : renforcer la transparence des licences, améliorer le suivi des navires via AIS et satellites, adopter des sanctions financières, renforcer les capacités des institutions somaliennes et favoriser le partage de données entre États.
Pour que la Somalie puisse redresser la gouvernance de son secteur halieutique, deux éléments sont cruciaux : l’indépendance de l’État par rapport aux intérêts privés et la coopération internationale pour démanteler les réseaux transnationaux d’IUU.
Mais au-delà de ces recommandations, il y a lieu d’agir sur le plan juridique : les États importateurs doivent refuser les produits issus de navires ou d’entités figurant sur les listes IUU, les institutions financières doivent intégrer ces risques dans leur dispositif de conformité, et les autorités somaliennes et internationales doivent conduire des investigations ciblées – sur les bénéficiaires effectifs, les flux financiers et les structures de re-flaggage.

En conclusion, le dossier autour de NEFCO et du réseau qui l’entoure met en lumière un modèle qui bafoue les lois nationales somaliennes, contourne les normes internationales de pêche et exploite la faiblesse institutionnelle pour engranger des profits illicites. Tant que la gouvernance halieutique en Somalie restera capturée, et tant que les États importateurs et les institutions financières ne feront pas respecter l’intégrité de la chaîne, l’exploitation illégale des ressources marines poursuivra son essor — au détriment de l’environnement, des communautés locales et de l’État somalien lui-même.

Hassan Cher

The English translation of the article in French.

Somalia/Djibouti: How a Transnational Fishing Network Circumvented Somali and International Law

Somali waters rank among the most fish-rich in the world. Yet, governed by a fragile state, they have become a theatre of intensified plunder — characterized by illegal fishing operations, falsified documentation, offshore companies, and the complicity of public authorities.
The Fishy Business report by the Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC) exposes how the North East Fishing Company (NEFCO) and an associated international network exploited this vulnerability to breach both Somali legislation and international standards.

1. Somali Legal Framework and National Violations

Somalia’s fisheries legislation designates the exploitation of marine resources as a strategic national interest. Under the 2014 Federal Fisheries Law, foreign vessels are prohibited from fishing within 24 nautical miles of the Somali coast. Furthermore, the Addis Ababa Provisional Resource-Sharing Agreement (March 2019) established that the Federal Government would issue licenses beyond 24 nautical miles, while Federal Member States would administer nearshore zones.

Despite this, the report documents that Puntland continued to grant fishing licenses to foreign vessels — notably Iranian gillnetters — in clear violation of federal law. For instance, between 10 September and 18 October 2020, 52 Iranian vessels were “licensed” by Puntland’s Ministry of Fisheries.

Moreover, NEFCO — operating primarily from Puntland — obtained both fishing licenses and export certificates (catch and health certificates) for a fleet of trawlers, despite the explicit national ban on trawl fishing in Somali waters.

These acts represent direct breaches of national law:

  • Illegal issuance of licenses by non-competent authorities,
  • Encroachment into the 24-mile exclusion zone,
  • Use of banned trawl gear.

Such practices undermine fisheries governance, deprive the Somali state of legitimate revenues, and erode its institutional sovereignty.

2. Breach of International and Regulatory Obligations

Beyond domestic law, multiple international norms are violated.

  • IUU Fishing: Illegal, Unreported, and Unregulated (IUU) operations contravene the obligations set by the Food and Agriculture Organization (FAO) and the Indian Ocean Tuna Commission (IOTC), particularly when vessels operate “dark” (with AIS tracking disabled) or deploy prohibited gear such as oversized gillnets.
  • Re-flagging and Document Fraud: The re-registration of vessels under new flags, falsification of catch and health certificates, and the use of shell companies breach international maritime law and conventions against money laundering and document fraud.
  • Human Rights Violations: Documented cases of forced labor and human trafficking — for example, aboard the vessel Marwan 1 (formerly Somali 7) — infringe international human rights law, International Labour Organization (ILO) standards, and the International Maritime Organization (IMO) conventions on seafarers’ working conditions.

In short, these practices are not only illegal under Somali jurisdiction but also represent a transnational operational model that deliberately evades global regulation.

3. The NEFCO Case: State Capture and Export Channels to China

The report highlights NEFCO’s pivotal role — and its close ties with political leaders and federal ministries. The company secured “irregular” export certificates after 2019, reportedly facilitated by senior Somali federal officials.

NEFCO operated a fleet of trawl vessels (Butiyalo One/Two/Three, Haysimo Two) re-flagged under the Somali registry after being acquired from South Korean owners. The company also maintained commercial links with partners in the Gulf and Djibouti to channel exports toward China.

These operations involve multiple legal and ethical violations:

  • Granting of trawl licenses for an expressly banned fishing method;
  • Export under potentially falsified or improperly issued sanitary certificates;
  • Political interference and influence in license issuance;
  • Use of front companies and offshore entities to conceal Ultimate Beneficial Owners (UBOs), obstructing enforcement and international sanctions.

4. Environmental, Institutional, and Socioeconomic Impacts

The repercussions of these violations are extensive. Environmentally, bottom trawling in Somali waters damages marine ecosystems — particularly along Puntland’s sensitive coastal habitats.

Institutionally, such practices contribute to what the report calls “state capture”: private companies leveraging political connections to obtain privileges, thereby weakening public institutions.

Socioeconomically, local artisanal fishers are marginalized. Licenses granted to foreign fleets reduce their access to resources, fuel resentment, and can indirectly push some toward illicit activities, including piracy.

Internationally, these operations result in the loss of legitimate state revenues and create systemic risks of money laundering, forced labor, and corruption across trade chains.

5. Policy Response and Recommendations

The GI-TOC report outlines several key responses:

  • Strengthening transparency in license issuance;
  • Improving vessel monitoring via AIS and satellite tracking;
  • Implementing financial sanctions;
  • Building institutional capacity;
  • Enhancing data-sharing between coastal and importing states.

For Somalia to restore effective governance over its fisheries, two elements are essential:
(1) shielding the state from private and political interference, and
(2) reinforcing international cooperation to dismantle transnational IUU networks.

Yet beyond policy reform, legal accountability is imperative. Importing states must refuse products sourced from IUU-listed vessels or entities. Financial institutions must include IUU risk in compliance frameworks. Somali and international authorities must conduct targeted investigations into beneficial ownership structures, financial flows, and re-flagging schemes.

Conclusion

The case of NEFCO and its associated network illustrates a systemic model that flouts Somali national laws, circumvents international fishing regulations, and exploits institutional weakness for illicit gain.
As long as Somalia’s fisheries governance remains compromised — and importing states and financial institutions fail to uphold supply-chain integrity — the illegal exploitation of Somali marine resources will persist, to the detriment of the environment, local communities, and the Somali state itself.

Hassan Cher

Link: GITOC-ESAObs-Fishy-Business-Illegal-fishing-in-Somalia-and-the-capture-of-state-institutions.pdf

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Authored by: Hassan Cher Hared

Hassan Cher Hared