
Conflit Djibouti / DP World : quelles vérités dans le jugement de la LCIA du 29 septembre 2025?

Le différend entre l’État djiboutien et le groupe DP World, héritier de la gestion du Terminal à conteneurs de Doraleh (DCT), connaît un nouveau rebondissement à l’automne 2025 : une sentence arbitrale rendue par la London Court of International Arbitration (LCIA) déclenche des échanges virulents de communiqués. Dans ce feuilleton juridique, chacun des protagonistes proclame une victoire, tandis que le tribunal énonce une solution nuancée, qui ne satisfait entièrement ni l’un ni l’autre. Cet épisode éclaire les tensions entre souveraineté, contrats internationaux et arbitrage.
- La version de la présidence de Djibouti : “revers judiciaire de DP World”
Le 30 septembre 2025, la Présidence de la République de Djibouti publie un communiqué affirmant que le tribunal arbitral de la LCIA a donné raison à l’État, qualifiant la sentence de « revers judiciaire de DP World devant la London Court of International Arbitration »
Selon ce communiqué :
1.1. La demande de DP World, estimée à près d’un milliard de dollars, réclamée à PDSA (la société d’État Port de Djibouti SA), est « jugée infondée et intégralement rejetée ».
1.2. Le tribunal accorde que PDSA, entité de droit privé, n’était pas responsable de la résiliation de la concession : cette résiliation relève d’une décision souveraine de l’État djiboutien.
1.3. DP World est condamné à prendre à sa charge « l’intégralité des frais d’arbitrage » et à rembourser les frais de défense de PDSA (1,85 million USD).
1.4. Pour Djibouti, cette sentence serait définitive (non susceptible de recours) et consacre une victoire juridique significative.
1.5. Le communiqué appelle à une issue par un « accord direct entre DP World et la République de Djibouti » garantissant la souveraineté nationale.
La formulation choisie par la présidence présente un tableau unilatéralement favorable : DP World est dépeint comme l’agresseur procédurier, et l’État djiboutien comme victorieux et souverain.
2. La réponse de DP World : correction, pas victoire totale
Face à ce communiqué, DP World (et plusieurs médias couvrant le dossier) publie une réponse cinglante, soulignant que la version de la présidence djiboutienne est incomplète — voire déformée. Le groupe insiste sur les points suivants :
2.1. La sentence ne fait pas droit aux réclamations contre l’État
DP World reconnaît que la demande contre PDSA a été rejetée (du fait que le tribunal considère que la responsabilité relève de l’État), mais rappelle que les réclamations envers le gouvernement djiboutien et l’associé China Merchants Port Holdings demeurent actives.
Le communiqué de la présidence, affirmant une « victoire intégrale », laisse de côté cette dimension essentielle.
2.2. Le tribunal a confirmé l’illégalité de la saisie du terminal
- Selon DP World, la LCIA a jugé que la prise de contrôle forcée du terminal DCT en 2018 fut illégale — contredisant la ligne de défense de l’État qui présentait cette mesure comme une action légitime de termination.
Le tribunal confirme aussi que le contrat de concession de 50 ans (2006) reste valide et contraignant — et ne pouvait être unilatéralement annulé par Djibouti.
2.3. Des jugements antérieurs et des montants encore dus
- DP World rappelle qu’il dispose déjà d’arbitrages antérieurs assortis d’ordonnances exécutoires pour environ 685 millions de dollars, non encore honorés par Djibouti.
Le groupe indique qu’il poursuivra tous les recours possibles pour faire valoir ses droits et obtenir compensation.
2.4. Discordance entre le communiqué officiel et les faits juridiques
Le communiqué gouvernemental est qualifié de mensonger ou trompeur, car il occulte les limitations de la sentence et ignore les droits toujours ouverts de DP World.
Un porte-parole de DP World dénonce cette stratégie narrative qui, selon lui, nuit à la confiance des investisseurs et à la crédibilité de Djibouti dans les affaires internationales.
De facto, DP World ne revendique pas une victoire totale, mais une confirmation judiciaire de ses droits de concession et de dommages, contre lesquels il entend encore agir.
3. Le jugement de la LCIA : une décision nuancée, mais à double tranchant
L’analyse indépendante des médias spécialisés et des rapports du tribunal montre que la sentence LCIA de 29 septembre 2025 se situe à mi-chemin entre les deux récits opposés — tranchant certains aspects majeurs mais laissant des contentieux ouverts. Voici les éléments clefs du jugement :
3.1. Illégalité de la saisie du terminal confirmée
Le tribunal conclut que la mesure prise en 2018 par l’État djiboutien — la saisie du terminal DCT exploité par DP World — est illégale. Il rejette la légitimité de la résiliation unilatérale de la concession par Djibouti.
Par conséquent, le contrat de concession de 50 ans (signé en 2006) demeure valide et contraignant aux yeux de l’arbitrage.
3.2. Rejet des demandes contre PDSA, mais responsabilité de l’État maintenue
Le tribunal ne condamne pas PDSA (la société d’État) à payer les dommages réclamés par DP World. Le motif : la perte ou le préjudice allégué n’est pas imputable à PDSA mais à l’État djiboutien lui-même.
En d’autres termes, la sentence arbitre le contentieux entre DP World et PDSA, mais n’épuise pas le litige principal contre l’État.
3.3. Frais et coûts : une condamnation partielle de DP World
DP World est condamné à payer les frais d’arbitrage dans cette procédure, et à rembourser les frais de défense de PDSA (1,85 million USD).
PDSA obtient le droit à ses coûts, mais sans reconnaissance de responsabilité pécuniaire pour la rupture de contrat.
3.4. Ouverture à d’autres actions contre l’État et China Merchants
Le jugement ne met pas un terme au différend global. DP World reste libre de réclamer des dommages et intérêts à l’État djiboutien et à China Merchants Port Holdings, pour les préjudices qu’il estime subis du fait de la saisie.
De plus, les décisions arbitrales antérieures, notamment l’octroi de 685 millions USD au titre d’arbitrages déjà gagnés, restent valides et exécutoires — tant que Djibouti ne s’y oppose pas ou qu’un tribunal compétent n’en bloque l’exécution.
4. Décryptage : qui a raison ? Entre communication et réalité juridique
La confrontation des deux récits révèle des stratégies divergentes de communication :
4.1. La présidence de Djibouti joue une carte politique et symbolique : qualifier la sentence de « revers judiciaire de DP World » vise à restaurer l’image d’un État souverain triomphant, tout en occultant les suites du litige.
4.2. DP World, de son côté, adopte une posture juridique prudente mais agressive : corriger les affirmations tronquées, rappeler ses droits persistants et maintenir la pression légale.
Le jugement de la LCIA, loin d’être une victoire totale pour l’un ou l’autre, constitue une décision « à la carte » :
4.3. Il reconnaît l’illégalité de la saisie et la validité juridique de la concession — une victoire partielle pour DP World, qui voit ses droits fondamentaux contractuels confirmés.
4.4. Il rejette les réclamations contre PDSA dans cette procédure — un angle de défense habile pour Djibouti, puisque l’État n’est pas mis directement en cause ici.
4.5. Il ne met pas fin au litige global : les contentieux contre le gouvernement et l’associé China Merchants restent ouverts.
Au demeurant, le différend portuaire Doraleh cristallise une tension classique du droit international des investissements : jusqu’où un État peut-il renier ou modifier des engagements pris sans être tenu responsable ? Le jugement de la LCIA montre que l’arbitrage international peut ordonner des principes de respect contractuel, mais ne garantit pas automatiquement une exécution intégrale ou une réconciliation politique.
5. Conclusion : un épisode, pas une conclusion
La sentence arbitrale du 29 septembre 2025 ne clôt pas le conflit ; elle en redéfinit les contours. La présidence de Djibouti célèbre une victoire — certes relative — tandis que DP World revendique la reconnaissance de ses droits fondamentaux et se réserve les armes judiciaires restant à sa disposition. Le tribunal a tranché sur un pan du contentieux, mais n’a pas rendu un verdict absolu.
Dans cette bataille d’arguments et de diplomatie juridique, la clé ne sera pas seulement le droit appliqué, mais la capacité de chaque partie à faire reconnaître, exécuter et médiatiquement faire vivre ses droits. Pour les observateurs internationaux, cette affaire reste un baromètre sur la confiance des investisseurs vis-à-vis d’États engagés dans des projets d’infrastructures stratégiques.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Djibouti / DP World Dispute: What Truths in the LCIA Judgment of September 29, 2025?
The dispute between the State of Djibouti and DP World, former manager of the Doraleh Container Terminal (DCT), took a new turn in the fall of 2025: an arbitral award issued by the London Court of International Arbitration (LCIA) triggered a heated exchange of press releases. In this legal saga, both parties proclaimed victory, while the tribunal delivered a nuanced decision that satisfied neither side entirely. This episode highlights the tensions between sovereignty, international contracts, and arbitration.
1. The Position of Djibouti’s Presidency: “DP World’s Judicial Setback”
On September 30, 2025, the Presidency of the Republic of Djibouti issued a statement claiming that the LCIA tribunal had ruled in the State’s favor, calling the award a “judicial setback for DP World before the London Court of International Arbitration.”
According to the statement:
1.1. DP World’s claim—nearly one billion USD against PDSA (the state-owned Port de Djibouti SA)—was deemed “unfounded and entirely dismissed.”
1.2. The tribunal confirmed that PDSA, as a private-law entity, was not responsible for terminating the concession: this was a sovereign decision of the State.
1.3. DP World was ordered to bear “all arbitration costs” and reimburse PDSA’s defense expenses (USD 1.85 million).
1.4. Djibouti presents the award as final (not subject to appeal) and a significant legal victory.
1.5. The Presidency calls for a “direct agreement between DP World and the Republic of Djibouti” to safeguard national sovereignty.
The Presidency’s wording paints a one-sidedly favorable picture: DP World is cast as a litigious aggressor, Djibouti as sovereign victor.
2. DP World’s Response: Correction, Not Total Victory
In reaction, DP World—and several media outlets—issued a sharp rebuttal, stressing that the Presidency’s version was incomplete, even misleading. DP World highlighted the following points:
2.1. Claims against the State remain. While acknowledging that its claim against PDSA was dismissed (since responsibility lies with the State), DP World reminded that claims against the Djiboutian government and its partner China Merchants Port Holdings remain active.
2.2. Illegality of the terminal seizure confirmed. DP World emphasized that the LCIA found Djibouti’s 2018 takeover of the DCT terminal unlawful, contradicting the State’s narrative of legitimate termination. The tribunal also confirmed that the 50-year concession (2006) remains valid and binding.
2.3. Outstanding awards remain. DP World recalled that it already holds enforceable arbitral awards totaling approximately USD 685 million, still unpaid by Djibouti. The company vowed to pursue all available remedies.
2.4. Government statement misleading. DP World accused Djibouti’s communication of being deceptive, omitting key aspects of the award and disregarding DP World’s continuing rights. According to DP World, such narrative tactics harm investor confidence and Djibouti’s international credibility.
DP World does not claim a total victory, but rather a legal reaffirmation of its concession rights and damages claims, which it intends to pursue.
3. The LCIA Judgment: A Nuanced, Double-Edged Decision
Independent media and tribunal reports suggest that the LCIA award of September 29, 2025, lies midway between the opposing narratives: it resolved certain key issues but left major disputes open.
3.1. Illegality of seizure confirmed. The tribunal ruled that Djibouti’s 2018 seizure of the DCT was unlawful. The unilateral termination of the concession was rejected. The 50-year concession remains valid and binding.
3.2. Claims against PDSA dismissed, but State responsibility maintained. The tribunal dismissed claims against PDSA, as the alleged harm derived from State action, not the company. Thus, the case resolved DP World’s dispute with PDSA but not the larger dispute with the State.
3.3. Costs against DP World. DP World was ordered to pay arbitration costs and reimburse PDSA’s legal fees (USD 1.85 million). PDSA obtained its costs but no liability for damages.
3.4. Other claims remain open. The ruling does not close the broader conflict: DP World remains free to pursue damages against the State and China Merchants. Previous arbitral awards, notably USD 685 million already granted, remain valid and enforceable.
4. Analysis: Between Communication and Legal Reality
The clash between the two narratives reflects divergent strategies:
4.1. Djibouti’s Presidency plays the political and symbolic card: framing the award as a “judicial setback” for DP World restores the image of sovereign triumph, while glossing over ongoing disputes.
4.2. DP World adopts a cautious yet aggressive legal posture: correcting misleading claims, reaffirming its contractual rights, and maintaining legal pressure.
4.3. The LCIA award offers a “mixed ruling”: it confirms the illegality of seizure and validity of the concession (partial victory for DP World); it dismisses claims against PDSA (a defensive success for Djibouti); it leaves claims against the State and China Merchants open.
Ultimately, the case exemplifies a classic dilemma in international investment law: how far can a State repudiate contractual commitments without liability? The LCIA award affirms contractual sanctity but cannot guarantee enforcement or political reconciliation.
5. Conclusion: An Episode, Not a Conclusion
The arbitral award of September 29, 2025, does not end the dispute—it reshapes it. Djibouti celebrates a relative victory; DP World underscores the recognition of its rights and reserves its legal options. The tribunal resolved part of the dispute but stopped short of a definitive ruling.
In this battle of arguments and legal diplomacy, the key lies not only in applied law but in each party’s ability to enforce, execute, and communicate its rights. For international observers, the case remains a barometer of investor confidence in States managing strategic infrastructure projects.
Hassan Cher