Djibouti: le Yearbook-Djibouti-2025 ou l’art officiel du mensonge

Publié en partenariat avec l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANPI), le Yearbook-Djibouti-2025 se présente comme un « rapport économique » mettant en avant les réussites du pays et ses ambitions inscrites dans la Vision 2035. Ce document aux pages glacées multiplie les superlatifs : « hub logistique », « puissance spatiale émergente », « transparence », « inclusion ». Pourtant, confrontées aux faits et aux témoignages, ces affirmations apparaissent comme une construction politique destinée à séduire investisseurs et bailleurs de fonds, bien plus qu’à refléter la réalité quotidienne des Djiboutiens.
- Stabilité politique ou verrouillage du pouvoir ?
Le Yearbook affirme sans nuance que :
« Djibouti jouit d’une stabilité politique comme atout supplémentaire » (p.20).
Ce mot de « stabilité » est un pilier de la communication officielle. Mais il occulte une vérité plus sombre : celle d’un régime tenu d’une main de fer par Ismaïl Omar Guelleh depuis 1999. Aucun présidentiable crédible n’a pu émerger en 26 ans, la presse indépendante est muselée et les manifestations étouffées. Les rapports de HCH24 et d’ONG internationales rappellent que la « stabilité » de Djibouti n’est rien d’autre que le verrouillage autoritaire d’un système politique fermé.
2. L’eau potable : l’éternelle quête
Le chapitre consacré aux « opportunités dans le secteur de l’eau » se félicite des « progrès notables » en matière d’accès à l’eau potable et à l’assainissement (p.68).
Pourtant, selon le PNUD, 30 % de la population rurale reste confrontée à un accès irrégulier à l’eau. De nombreux puits et forages sont à l’abandon, les nappes s’épuisent, et la salinité croissante rend l’eau impropre à la consommation. L’UNICEF a dû lancer un programme de construction de latrines communautaires pour lutter contre la défécation à l’air libre, encore courante dans les villages.
La mise en avant de « succès » par le Yearbook contraste ainsi avec une réalité bien plus rude : chaque jour, des femmes parcourent plusieurs kilomètres, bidon à la main, pour rapporter une eau de qualité douteuse.
3. Croissance économique : une vitrine qui masque la pauvreté
Le rapport vante des perspectives optimistes :
« Le taux de croissance du PIB devrait s’établir à 6,5 % en 2024 et à 6,6 % en 2025 » (p.8).
Oui, Djibouti croît. Mais pour qui ? Ces chiffres, largement alimentés par les services portuaires et les bases militaires étrangères, ne profitent pas à la majorité de la population. Selon HCH24, le chômage des jeunes dépasse largement les statistiques officielles. Dans les quartiers populaires de Balbala, l’économie informelle — petits commerces de rue, vente de khat — reste le principal mode de survie.
Le contraste est brutal : malgré une croissance affichée, Djibouti se classe toujours 171ᵉ sur 191 à l’indice de développement humain (p.7). Les bénéfices de cette croissance ne « ruissellent » pas, ils se concentrent dans les mains d’une élite connectée au pouvoir.
4. Gouvernance et transparence : l’écran de fumée
Le Yearbook assure :
« La bonne gouvernance, la transparence et l’efficacité sont des réalités tangibles dans les affaires publiques et privées » (p.25).
Cette déclaration paraît presque ironique à la lumière de la récente dissolution du Fonds Souverain de Djibouti (FSD) par décret présidentiel, dénoncée comme un acte opaque et contraire aux principes constitutionnels. Ni audit, ni débat parlementaire, ni publication des comptes.
Pour HCH24, cette opération illustre au contraire le déficit de transparence et la concentration des décisions financières dans un cercle restreint. Loin de la « gouvernance exemplaire » décrite par le Yearbook, Djibouti vit sous un régime où l’opacité reste la norme.
5. Santé et éducation : progrès proclamés, réalités négligées
Le Yearbook se félicite :
« La réforme structurelle du système de santé » et « le système éducatif adapté aux exigences du marché » (p.34 et p.128).
Or, les constats d’organisations indépendantes sont bien différents. Dans les hôpitaux de Djibouti-ville, les ruptures de médicaments sont fréquentes, et les régions rurales manquent cruellement de médecins. L’accès aux soins reste inégal, souvent conditionné à la capacité de payer.
En éducation, l’UNESCO rappelle qu’une majorité d’enfants de 10 ans n’atteignent pas le niveau minimum de lecture. Les écoles, particulièrement en zone rurale, souffrent d’un manque d’enseignants qualifiés et de matériel pédagogique.
Ces réalités contrastent violemment avec l’autosatisfaction affichée dans le rapport.
6. Djibouti « puissance spatiale » : entre rêve et provocation
Le Yearbook se projette :
« Djibouti a lancé avec succès son premier satellite Djibouti 1A » et prévoit « un port spatial d’un milliard de dollars » (p.17).
Ce discours futuriste frôle l’absurde dans un pays où une partie de la population survit avec moins de 2 dollars par jour. Comment parler de conquête spatiale alors que des quartiers entiers n’ont ni eau courante, ni électricité fiable, ni emploi ? Pour beaucoup, ces annonces relèvent d’une provocation. Elles traduisent la volonté du pouvoir de briller à l’international, au prix d’un mépris pour les besoins élémentaires des citoyens.
7. Conclusion : une propagande sur papier glacé
Le Yearbook-Djibouti-2025 n’est pas un rapport économique objectif, c’est un outil de communication politique. Il construit un récit : celui d’un pays moderne, attractif, en pleine ascension. Mais ce récit est contredit, chaque jour, par les faits : pauvreté endémique, chômage massif, accès précaire à l’eau et aux soins, éducation inégale, gouvernance opaque.
À force de travestir la réalité, le régime prend le risque de voir le fossé entre discours et vécu devenir explosif. Car les Djiboutiens, eux, ne lisent pas des Yearbooks. Ils vivent des coupures d’eau, des prix alimentaires qui flambent, des emplois qui manquent.
La Vision 2035 reste peut-être un horizon pour les investisseurs étrangers. Mais pour les habitants de Balbala, de Dikhil ou d’Obock, l’horizon immédiat, c’est l’accès à un verre d’eau potable, un emploi stable et une école qui enseigne vraiment.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Djibouti: The Yearbook-Djibouti-2025 and the Official Art of Deception
Published in partnership with the National Agency for Investment Promotion (ANPI), the Yearbook-Djibouti-2025 presents itself as an “economic report” highlighting the country’s achievements and ambitions under Vision 2035. This glossy publication abounds with superlatives: “logistics hub,” “emerging space power,” “transparency,” “inclusion.” Yet when confronted with facts and testimonies, these claims appear more like a political construction designed to woo investors and international donors than a reflection of the daily reality faced by Djiboutians.
1. Political stability or a stranglehold on power?
The Yearbook bluntly declares:
“Djibouti enjoys political stability as an additional asset” (p.20).
This notion of “stability” is a cornerstone of official communication. But it hides a darker truth: a regime held in an iron grip by Ismaïl Omar Guelleh since 1999. In 26 years, no credible presidential challenger has emerged, independent media have been muzzled, and demonstrations suppressed. Reports from HCH24 and international NGOs remind us that Djibouti’s so-called “stability” is nothing more than the authoritarian stranglehold of a closed political system.
2. Drinking water: the endless quest
The section dedicated to “opportunities in the water sector” hails “notable progress” in access to drinking water and sanitation (p.68).
Yet, according to UNDP, 30% of the rural population still struggles with unreliable access to water. Many wells and boreholes have been abandoned, aquifers are depleting, and rising salinity makes water undrinkable. UNICEF has had to launch community latrine programs to combat open defecation, still widespread in villages.
The Yearbook’s celebration of “successes” thus stands in stark contrast to the harsher reality: every day, women walk for kilometers, jerrycans in hand, to fetch water of dubious quality.
3. Economic growth: a showcase masking poverty
The report boasts optimistic forecasts:
“GDP growth is expected to reach 6.5% in 2024 and 6.6% in 2025” (p.8).
Yes, Djibouti is growing. But for whom? These figures, driven largely by port services and foreign military bases, do not benefit the majority of the population. According to HCH24, youth unemployment is far higher than official statistics suggest. In the working-class districts of Balbala, the informal economy — street vending, khat sales — remains the primary means of survival.
The contrast is striking: despite this touted growth, Djibouti still ranks 171st out of 191 on the Human Development Index (p.7). The gains of growth do not “trickle down”; they concentrate in the hands of an elite tied to power.
4. Governance and transparency: a smokescreen
The Yearbook claims:
“Good governance, transparency and efficiency are tangible realities in public and private affairs” (p.25).
This statement sounds almost ironic in light of the recent dissolution of the Djibouti Sovereign Wealth Fund (FSD) by presidential decree — an opaque move denounced as unconstitutional. No audit, no parliamentary debate, no publication of accounts.
For HCH24, this episode instead illustrates a deficit of transparency and the concentration of financial decisions within a small ruling circle. Far from the “exemplary governance” described in the Yearbook, Djibouti operates under a system where opacity remains the rule.
5. Health and education: proclaimed progress, neglected realities
The Yearbook boasts:
“The structural reform of the health system” and “an education system adapted to market demands” (p.34 and p.128).
Independent findings tell a different story. In Djibouti-city hospitals, drug shortages are frequent, while rural regions suffer a severe lack of doctors. Access to healthcare remains unequal, often depending on the ability to pay.
In education, UNESCO notes that a majority of 10-year-olds fail to reach minimum reading proficiency. Schools, particularly in rural areas, lack qualified teachers and adequate teaching materials.
These realities clash violently with the self-congratulatory tone of the report.
6. Djibouti as a “space power”: between fantasy and provocation
The Yearbook projects a bold future:
“Djibouti successfully launched its first satellite, Djibouti-1A” and is planning “a one-billion-dollar spaceport” (p.17).
This futuristic discourse borders on the absurd in a country where part of the population survives on less than $2 a day. How can one talk about space conquest when entire neighborhoods lack running water, reliable electricity, or employment? For many, such announcements amount to provocation. They reveal the regime’s desire to dazzle abroad, at the expense of meeting citizens’ most basic needs.
7. Conclusion: propaganda on glossy paper
The Yearbook-Djibouti-2025 is not an objective economic report; it is a political communication tool. It constructs a narrative of a modern, attractive, upwardly mobile nation. But this story is contradicted daily by the facts: endemic poverty, mass unemployment, precarious access to water and healthcare, unequal education, opaque governance.
By persistently distorting reality, the regime risks widening the gap between rhetoric and lived experience to a breaking point. Because Djiboutians themselves do not read Yearbooks. They live with water cuts, soaring food prices, and jobs that never materialize.
Vision 2035 may remain an attractive horizon for foreign investors. But for the residents of Balbala, Dikhil, or Obock, the immediate horizon is access to a glass of clean water, a stable job, and a school that truly teaches.
Hassan Cher


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