
Djibouti-Houthis-Iran : La présidence djiboutienne a-t-elle acheté des armes pour le Houthi sur financement iranien ?

Introduction :
Ce dossier documente une opération d’acquisition d’armement impliquant Djibouti et le fabricant brésilien Forjas Taurus S.A. entre 2013 et 2015. Des virements d’un montant total de 2,28 millions USD ont transité via des sociétés-écrans et une banque locale, en contournement des procédures légales djiboutiennes. La présence d’un individu sanctionné par l’ONU, Fares Mana’a, et l’implication d’entités présidentielles hors chaîne budgétaire et de défense soulèvent de graves questions de conformité et de risques financiers.
- Lois violées (rappel bref)
a)Lois djiboutiennes
- Code des marchés publics (Loi n° 53/AN/09/6ème L + textes d’application) : la mise en concurrence est la règle au-delà de 5 millions DJF ; contrôle en amont/aval par la Commission nationale des marchés et respect des procédures formalisées (documents-types, manuel, charte d’éthique). Des achats d’armement « en direct » par des entités non compétentes ou sans procédure enfreignent ces exigences. (natlex.ilo.org, Droit-Afrique, World Bank)
- Décret n° 98-0085/PR/DEF du 13 juillet 1998 (réorganisation financière de l’armée et de la gendarmerie) : le Ministre de la Défense est ordonnateur (principal) des dépenses de défense ; le Chef d’état-major est ordonnateur secondaire pour l’engagement juridique préalable ; le définitif relève du Ministre de la Défense. Des engagements et paiements opérés en dehors de cette chaîne (ex. par la Présidence) contreviennent à ce décret. (eJO – Journal Officiel de Djibouti)
- Organisation générale du Ministère de la Défense (Décret n° 98-0079/PR/DEF) : le Ministre prépare et contrôle l’exécution du budget de la défense. Des acquisitions réalisées sans ce contrôle peuvent violer ce texte. (eJO – Journal Officiel de Djibouti)
- Rôle budgétaire du Ministère du Budget : ordonnateur délégué unique du budget de l’État (règle de disponibilité des crédits). Passer outre son contrôle préalable peut contrevenir au cadre budgétaire. (Ministère du Budget —, unstats.un.org)
- b) Lois internationales.
- Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU (notamment celles visant Fares Mana’a — SOI.008) ;
- Normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent (LBC/FT) ;
- Obligations des États en matière de traçabilité des transferts d’armes ;
- Conventions internationales contre la corruption (e.g., Convention de l’ONU contre la corruption).
2) Montants totaux utilisés / facturés (d’après vos documents)
- Virements SWIFT vers Forjas Taurus S.A. (Brésil) :
– 930 235 USD (International Commercial Bank of Djibouti → Citibank N.A., São Paulo), avec référence aux factures TAU 49047 et TAU 49052.
– 1 356 247 USD (même circuit bancaire).
Total repéré dans les pièces jointes : 2 286 482 USD.
Ce montant de 2.286.482 USD dépasse largement le dépense de matériel militaire consigné dans le budget alloué au ministère de la Défense de Djibouti pour l’année 2013 et 2014. Et les 80.000 pistolets achetés à Forjas Taurus S.A (Brésil) n’ont jamais été vu sur les militaires djiboutiens ni dans leurs stock d’armes.
3) Sociétés impliquées
- Forjas Taurus S.A. (fournisseur d’armes, Brésil).
- Itkhan Corporation for General Trading and Hunting : immatriculation n° 10978 à l’ODPIC. Société offshore basée à Djibouti (Trading Avenue) qui a effectué les transferts d’argent. Elle est désignée comme « broker » (courtier) dans les licences d’exportation. Créer spécialement pour des activités illégales elle a disparu depuis (Page non trouvée — ODPIC).
- Matrix company : Mentionnée dans le premier End-User Certificate (EUC) comme l’agent importateur, représenté par Abdalurabulagabad Sale Abdo est inexistant dans les registres officiels de Djibouti, ODPIC et registre du commerce.
4) Personnes impliquées
- Fares Mohamed Hassan Mana’a : individu sanctionné par l’ONU sous la référence SOI.008, entré au Brésil le 21 janvier 2015 à l’invitation d’Eduardo Pezzuol (Forjas Taurus S.A.) pour des achats d’armes (élément établi par le Groupe d’experts). (securitycouncilreport.org, documents.un.org)
- Eduardo Pezzuol (Forjas Taurus S.A.) : point de contact invité/accueillant Mana’a au Brésil. (securitycouncilreport.org, documents.un.org)
- Signataires djiboutiens de certificats d’utilisateur final : le Chef du cabinet militaire de la Présidence est cité comme signataire dans vos documents.
5) Autorités publiques impliquées (cadre et/ou actes)
- Présidence de Djibouti : Le chef de cabinet militaire de la présidence est signataire d’End-User Certificates au profit de la société Matrix Company, dirigée par Abddurabuhguhqd Sale Abdo, à importer les armes d’achats de Taurus (point a et b de la page 143 du rapport final du Groupe d’experts sur le Yémen n° S/2017/81 du 31/01/2017.). Ce rôle empiète sur la chaîne normale de la Défense telle que fixée par le décret de 1998.
- Ministère de la Défense / Chef d’état-major : autorités légalement compétentes pour engager et ordonnancer des dépenses d’armement ; toute exclusion de cette chaîne est contraire aux textes. (eJO – Journal Officiel de Djibouti)
- Ministère du Budget : contrôle préalable des disponibilités et ordonnateur délégué unique du budget de l’État. (Ministère du Budget —, unstats.un.org)
6) Banques / sociétés financières impliquées
- Banque émettrice (Djibouti) :
International Commercial Bank Djibouti (ICBD), Immeuble 15 – Place du 27 juin – Djibouti-ville : Compte n° 000010200451761 au nom de Itkhan Corporation for General Trading and Hunting. (29 septembre 2007 : ICB — Welcome to International Commercial Bank (Djibouti) S.A.). Depuis 2015 la banque a changé de nom : Intercontinental Investment Bank SA (IIB) — (les établissements agréés — BANQUE CENTRALE DE DJIBOUTI). Cette banque est une société offshore appartenant à la famille du président de Djibouti.
- Banque bénéficiaire / réceptrice (États-Unis) :
Citibank, New York : Compte n° 36942067 au nom de Forjas Taurus S.A.
7) Provenances de l’argent
- Ce montant de 2.286.482 USD dépasse largement la dépense de matériel militaire consigné dans le budget alloué au ministère de la Défense de Djibouti pour l’année 2013 et 2014.
- La période de 2013 et 2014 coïncide spécialement avec la fin de construction du siège de l’Assemblée nationale de Djibouti par l’Iran (Agence djiboutienne d’Information).
- Liens indirects / contexte : Raydan Investments (recevant des fonds d’Ansan Wikfs Limited/Shaher Abdulhak) opère dans le même réseau temporel et fonctionnel que l’opération Taurus “à destination de Djibouti”, laquelle s’est appuyée sur des sociétés djiboutiennes dédiées (Itkhan/Matrix) et une banque locale (ICB Djibouti).
- D’un point de vue légal, les dépenses d’armement doivent être engagées sous l’ordonnancement du Ministre de la Défense et dans la limite des crédits votés, avec contrôle budgétaire du Ministère du Budget ; des flux initiés en dehors de cette chaîne constitueraient un contournement du cadre public, donc du blanchiment d’argent. (eJO – Journal Officiel de Djibouti, Ministère du Budget –)
8) Résumé et implications
- Sur la matérialité : Les documents montrent deux paiements SWIFT totalisant 2 286 482 USD vers Forjas Taurus S.A. avec références de factures et banques impliquées, ainsi que des certificats d’utilisateur final signés côté djiboutien.
- Sur les personnes/réseaux : l’ONU établit qu’Eduardo Pezzuol (Taurus) a invité Fares Mana’a au Brésil en janvier 2015 pour des achats d’armes, ce qui ancre des liaisons commerciales problématiques avec un individu sanctionné. (securitycouncilreport.org, documents.un.org)
- Sur la conformité juridique djiboutienne : les acquisitions et paiements ont été conduits par la Présidence ou des entités hors chaîne Ministre de la Défense ↔ CEMA ↔ Budget, ils contredisent le décret 98-0085/PR/DEF et les règles du Code des marchés publics (procédures et contrôles). (eJO – Journal Officiel de Djibouti, natlex.ilo.org, Droit-Afrique)
- Risque d’extraterritorialité / conformité fournisseur : la présence d’un individu sanctionné dans l’écosystème de la transaction (Mana’a) pose des risques AML/CFT et de sanctions pour les intermédiaires et banques correspondantes. (Fondé sur S/2017/81). (securitycouncilreport.org)
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Djibouti–Houthis–Iran: Did the Djiboutian Presidency Purchase Weapons for the Houthis with Iranian Funding?
Introduction:
This dossier documents an arms acquisition operation involving Djibouti and the Brazilian manufacturer Forjas Taurus S.A. between 2013 and 2015. Transfers totaling USD 2.28 million were routed through shell companies and a local bank, bypassing Djibouti’s legal procedures. The involvement of a UN-sanctioned individual, Fares Mana’a, and the participation of presidential entities outside the official defense and budget chain raise serious compliance and financial risk concerns.
1) Violated Laws (brief overview)
a) Djiboutian laws
- Public Procurement Code (Law No. 53/AN/09/6th L + implementing texts): Competitive bidding is required for amounts exceeding DJF 5 million, with upstream/downstream control by the National Public Procurement Commission and adherence to formal procedures (standard documents, manuals, ethics charter). Direct arms purchases by unauthorized entities or without proper procedures violate these requirements. (natlex.ilo.org, Droit-Afrique, World Bank)
- Decree No. 98-0085/PR/DEF of 13 July 1998 (financial reorganization of the army and gendarmerie): The Minister of Defense is the primary budgetary authority; the Chief of Staff is a secondary authorizer for prior legal engagement; final approval rests with the Minister. Commitments and payments made outside this chain (e.g., by the Presidency) contravene this decree. (eJO – Djibouti Official Journal)
- General Organization of the Ministry of Defense (Decree No. 98-0079/PR/DEF): The Minister prepares and supervises execution of the defense budget. Acquisitions made without such control may violate this text. (eJO – Djibouti Official Journal)
- Budgetary role of the Ministry of Budget: Sole delegated authorizer of the state budget; bypassing its prior control may contravene the budgetary framework. (Ministry of Budget, unstats.un.org)
b) International laws
- UN Security Council resolutions (notably those targeting Fares Mana’a — SOI.008)
- International anti-money laundering (AML/CFT) standards
- State obligations regarding arms transfer traceability
- International anti-corruption conventions (e.g., UN Convention against Corruption)
2) Total amounts used / invoiced (according to your documents)
- SWIFT transfers to Forjas Taurus S.A. (Brazil):
- USD 930,235 (International Commercial Bank of Djibouti → Citibank N.A., São Paulo), referencing invoices TAU 49047 and TAU 49052
- USD 1,356,247 (same banking channel)
- Total identified in attachments: USD 2,286,482
This amount far exceeds the military equipment expenditure allocated to the Djiboutian Ministry of Defense in 2013–2014. The 80,000 pistols purchased from Forjas Taurus S.A. were never seen in Djiboutian military stocks.
3) Companies involved
- Forjas Taurus S.A. – Arms supplier, Brazil
- Itkhan Corporation for General Trading and Hunting: Offshore company registered in Djibouti (Trading Avenue), registration no. 10978 at ODPIC, executed the fund transfers; designated as a « broker » in export licenses; created for illegal purposes and since dissolved (Page not found — ODPIC)
- Matrix Company: Listed in the first End-User Certificate (EUC) as the importing agent, represented by Abdalurabulagabad Sale Abdo; non-existent in official Djiboutian records (ODPIC, commercial register)
4) Individuals involved
- Fares Mohamed Hassan Mana’a: UN-sanctioned individual (SOI.008), entered Brazil on 21 January 2015 at the invitation of Eduardo Pezzuol (Forjas Taurus S.A.) for arms purchases. (securitycouncilreport.org, documents.un.org)
- Eduardo Pezzuol (Forjas Taurus S.A.): Contact point hosting Mana’a in Brazil
- Djiboutian signatories of End-User Certificates: Chief of the Presidential Military Cabinet cited as signatory
5) Public authorities involved (framework and/or actions)
- Presidency of Djibouti: The Chief of the Military Cabinet signed End-User Certificates in favor of Matrix Company (led by Abddurabuhguhqd Sale Abdo) to import Taurus weapons. This role encroaches on the normal defense chain defined by the 1998 decree.
- Ministry of Defense / Chief of Staff: Legally competent authorities for arms procurement and budget execution; any exclusion of this chain is contrary to the law. (eJO – Djibouti Official Journal)
- Ministry of Budget: Responsible for prior approval of credit availability; sole delegated authorizer of the state budget. (Ministry of Budget, unstats.un.org)
6) Banks / financial institutions involved
- Issuing bank (Djibouti): International Commercial Bank Djibouti (ICBD), Account No. 000010200451761, in the name of Itkhan Corporation for General Trading and Hunting; renamed Intercontinental Investment Bank SA (IIB) in 2015; offshore entity owned by the Djiboutian president’s family.
- Receiving bank (United States): Citibank, New York, Account No. 36942067, Forjas Taurus S.A.
7) Sources of the funds
- The USD 2,286,482 transferred exceeds the defense ministry’s recorded budget for 2013–2014.
- The 2013–2014 period coincides with the completion of the Djiboutian National Assembly building funded by Iran (Djibouti Press Agency).
- Indirect links / context: Raydan Investments (receiving funds from Ansan Wikfs Limited/Shaher Abdulhak) operated in the same temporal and functional network as the Taurus operation “for Djibouti,” using dedicated Djiboutian companies (Itkhan/Matrix) and a local bank (ICB Djibouti).
- Legally, arms expenditures must be authorized by the Minister of Defense and within approved credits, with budget oversight from the Ministry of Budget; funds moved outside this chain constitute circumvention of public controls, i.e., potential money laundering.
8) Summary and implications
- On materiality: Documents show two SWIFT payments totaling USD 2,286,482 to Forjas Taurus S.A., with invoice references and banks involved, along with Djiboutian-signed end-user certificates.
- On individuals/networks: UN confirms Eduardo Pezzuol invited Fares Mana’a to Brazil in January 2015 for arms purchases, establishing problematic commercial links with a sanctioned individual. (securitycouncilreport.org, documents.un.org)
- On Djiboutian legal compliance: Purchases and payments were conducted by the Presidency or entities outside the Defense Ministry → Chief of Staff → Budget chain, violating Decree 98-0085/PR/DEF and Public Procurement Code procedures and controls. (eJO – Djibouti Official Journal, natlex.ilo.org, Droit-Afrique)
- Extraterritorial / supplier compliance risk: The involvement of a sanctioned individual in the transaction ecosystem (Mana’a) poses AML/CFT and sanctions risks for intermediaries and correspondent banks. (Based on S/2017/81, securitycouncilreport.org)
Hassan Cher