Djibouti/Éthiopie/Somalie : Le chapitre « Dheer » ou Droits de la femme dans le Xeer Ciise

Djibouti/Éthiopie/Somalie : Le chapitre « Dheer » ou Droits de la femme dans le Xeer Ciise

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  1. Xeerka Dheerta : Protection et Limites des Droits Féminins dans le Xeer Ciise

Introduction et Cadre Juridique du Xeer Ciise

Le Xeer Ciise (ou Xeer Issa) est le droit coutumier oral de la communauté somali-issa, un système juridique complexe et sophistiqué développé autour du XVIe siècle [1]. Il régit la vie sociale, politique, et judiciaire de ces communautés pastorales réparties entre l’Éthiopie, Djibouti et la Somalie. Ce droit coutumier a récemment acquis une reconnaissance internationale majeure, étant inscrit en 2024 sur la Liste Représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité de l’UNESCO [2].

L’UNESCO souligne que le Xeer Ciise est un système de gouvernance démocratique rigoureusement codifié, structuré autour de trois composantes principales :

– Une Constitution politique : Définissant la distribution du pouvoir et les processus de prise de décision (Ugaas= Guide nommé, Gande= 44 sénateurs, Gudi : 12 ministres et juges des 12 tribunaux).

– Un Code pénal : Établissant la justice communautaire, axée sur la réconciliation et la compensation.

– Un Code de conduite sociale : Définissant les principes métaphysiques, spirituels et sociaux.

Ce système juridique est ordonné en différentes parties pour refléter la séquence logique et le traitement systématique des infractions et des peines, dont les noms évoquent la culture nomade :

– Lix Kabood (Six paires de sandales des nomades — Les Six chapitres du Code).

– Boqol iyo lixdan Dhagalay (cent soixante articles).

– Saddex boqol iyo lix iyo Soddon (336) Sarood (Trois cent trente-six alinéas).

– Afar boqol iyo Afar iyo Afartan Indhal (Quatre cent quarante-quatre jurisprudences). II. Catégorisation des Femmes et Protection Juridique

Dans cette publication, nous aborderons le chapitre « Dheer », un texte des lois particulièrement créés pour traiter des droits des femmes, droits qui étaient déjà reconnus au 16e siècle par la communauté Somali-Issa.

  1. Protection selon le Statut Matrimonial et l’Âge

   1.1. Baara-cad (Jeune Fille Non Pubère)

– Compensation élevée 16 chamelles (16 halaad) pour viol

   – Double sanction : compensation + bannissement du violeur

   – Protection familiale : sanction contre celui qui donnerait la victime en mariage à son agresseur

   – Analyse : Protection forte des mineures, dissuasion économique et sociale

[- Article: Si une jeune fille non pubère est violée, la compensation est de 16 chamelles (16 halaad) ou 192 brebis (192 laxaad).

– Article: L’agresseur est banni de la communauté et ne peut épouser la victime.

– Article: Celui qui donne la jeune fille en mariage à l’agresseur est sanctionné de payer 12 chamelles (12 halaad.]

1.2. Billa-cad (Femme Célibataire)

       – Droit au consentement reconnu

       – Compensation de 15 chamelles (15 halaad) en cas de viol

       – Possibilité d’épouser l’homme de son choix si consentant

    [– Article: Une femme célibataire qui est violée donne droit à une compensation de 15 chamelles (15 halaad).

    – Article: Si la femme prouve qu’elle était consentante, elle peut épouser l’homme de son choix.]

    1.3. Gambo-cad (Veuve en Deuil)

         – Protection spéciale pendant la période de deuil (4 mois, 10 jours)

         – Sanction sociale sévère pour l’agresseur (exclusion des assemblées)

      [– Article: Si une veuve en deuil (pendant 4 mois et 10 jours) est violée, la compensation est de 15 chamelles (15 halaad).

      – Article: L’agresseur est exclu des assemblées communautaires.]

      2. Consentement et Agency Féminine

      2.1. Le concept de Xayn-gogla (femme consentante) est remarquable :

      – Reconnaissance du désir féminin

      – Aucune sanction pour relations consenties

      – Présomption de crédibilité même en cas d’accusations non prouvées

      [-Article : Aucune sanction n’est prévue si la femme est consentante.

      – Article : Si elle accuse faussement un homme de viol, elle n’est pas punie, mais sa crédibilité est perdue.]

      2.2. Wadaajiya – L’Adultère

      [- Article : Une femme adultère est exposée publiquement et perd son droit au remariage.

      – Article : L’homme impliqué est banni.]

      3. Droits Matrimoniaux et Économiques

      3.1. Contrôle du Mariage (Divorce et Séparation)

      – Droit de refus reconnu aux femmes

      – Procédure de consultation obligatoire (même si souvent contournée)

      – Exemple documenté : Cas de la jeune femme refusant un vieillard (page 45)

      [- Article : La femme a le droit de refuser un mariage arrangé.

      – Article : Elle peut choisir son époux si elle le communique à ses parents.]

      3.2. Régime Matrimonial (Gabbaati & Yarad)

      – Dot standardisée (15 jilood)

      – Biens propres (Gole-ku-hadh) protégés

      – Héritage limité mais existant pour les filles uniques

      [– Article : La dot (Gabbaati) est fixée à 15 jilood (bétail).

      – Article : Une femme peut demander le divorce si son mari est négligent ou absent.

      – Article : En cas de séparation, la femme garde ses biens personnels (Gole-ku-hadh).]

      4. Protection contre les Violences physiques et verbales

      4.1. Violences Conjugales

      – Sanctions financières contre les maris violents

      – Droit de séparation reconnu

      – Protection de la mère considérée comme sacrée

      [– Article : « Une mère est un champ – on ne brûle pas un champ, on ne le piétine pas. »

      – Article : Il est interdit de causer du tort à une mère.

      – Article : Elle a le droit de participer aux décisions familiales et communautaires.]

      4.2. Mécanismes de Protection Collective

      – Intervention des aînés en cas de conflits conjugaux

      – Procédures de médiation obligatoires avant divorce

      – Sanctions communautaires contre les maris négligents

      [– Article : Un homme qui bat sa femme est passible d’une amende.

      – Article : Si la violence entraîne des blessures, des compensations supplémentaires sont dues.]

      4.3. Atteintes à l’intégrité physique

      De manière générale, le Xeer Ciise codifie les différentes parties du corps humain et établit un prix de réparation (ou « diya ») proportionnel à la gravité des séquelles. Les lésions affectant le visage, les dents et les parties génitales féminines sont parmi celles qui donnent lieu aux compensations les plus élevées.

      À titre d’exemple, le tarif pour une jeune fille non pubère (Baara-cad) est fixé à 10 brebis (10 laxaad), tandis que pour une fille célibataire (Billa-cad), il s’élève à 5 brebis (5 laxaad).

      5. Limitations et Contradictions

      Inégalités Structurelles

      5.1. Témoignage : Exclusion des affaires criminelles

      [– Article : Les femmes ne peuvent pas témoigner dans les affaires de sang.

      – Article : Elles peuvent témoigner dans les affaires civiles si elles sont jugées crédibles.]

      5.2. Héritage : Discrimination en faveur des héritiers mâles

      [– Article : Les femmes n’héritent généralement pas, sauf si elles sont filles uniques.

      – Article : Une fille unique peut hériter des biens de son père.]

      5.3. Polygamie : Acceptée sans restrictions équitables

      6. Contrôle Social

      – Pressions familiales sur les mariages

      – Remariage ou Lévirat forcé (Dumaal) dans certaines situations

      – Double standard concernant la sexualité

      [– Article : Une veuve peut être remariée à un frère du défunt (Dumaal).

      – Article : Elle a le droit de refuser si elle le souhaite.]

      7. Aspects Progressistes Méconnus

      7.1. Agency Économique

      – Droit de posséder et gérer des biens

      – Participation au commerce et à l’élevage

      – Protection des biens en cas de séparation

      [– Article : Une femme peut posséder et gérer ses biens (Gole-ku-hadh).

      – Article : Elle peut participer au commerce et à l’élevage.]

      7.2. Consentement Sexuel

      – Droit au plaisir sexuel implicite

      – Protection contre les mariages forcés

      Conclusions.

      Comparaison avec les Systèmes Contemporains

      Le Xeer-Ciise présente des avancées remarquables pour son époque :

      – Sanctions sévères contre le viol dans un système juridique du 16ème siècle

      – Reconnaissance partielle du consentement féminin

      – Protection économique des femmes mariées

       Évolution et Application Moderne

      Le document suggère une évolution jurisprudentielle :

      – Adaptation des compensations financières

      – Interprétation progressiste par les aînés

      – Résistance aux abus les plus flagrants

       Conclusion : Un Système Ambivalent

      Le Xeerka Dheerta représente un équilibre complexe entre :

      – Protection patriarcale et agency féminine

      – Tradition immémoriale et adaptation pragmatique

      – Contrôle social et justice réparatrice

      Malgré les contraintes de son contexte historique, le Xeer-Ciise mérite l’examen des spécialistes du droit pour sa reconnaissance partielle des droits féminins et ses mécanismes de protection sophistiqués. Ceux-ci assurent une protection juridique aux femmes, notamment concernant les violences physiques et verbales, le mariage, le divorce, le viol et la propriété. Ces dispositions, qui contrastent avec leur implication limitée dans la sphère décisionnelle publique, illustrent l’équilibre que ce droit traditionnel tente d’opérer entre coutume et droits des femmes.

      Références

      [1] Moussa Iye, Ali. Le Xeer Issa: une contribution africaine à la construction du «pluriversalisme». Présence africaine, 2018.

      [2] UNESCO. Xeer Ciise: Oral customary laws of Somali-Issa communities in Ethiopia, Djibouti and Somalia. Liste Représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, 2024. [https://ich.unesco.org/en/RL/xeer-ciise-oral-customary-laws-of-somali-issa-communities-in-ethiopia-djibouti-and-somalia-02087]

      [3] Xeerka Dheerta

      [4] Document joint : devenir-partenaires-xeer-ciise.pdf (Mention de l’alignement sur l’égalité des genres – ODD 5).

      [5] LE CAS DU«XEERISSA»..pdf (Contexte juridique et état de droit).

      [6] Le xeer ciise,droit coutumier oral des communautés ciise somaal.pdf (Détails sur la nature du droit coutumier).

      Hassan Cher

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      Authored by: Hassan Cher Hared

      Hassan Cher Hared