Djibouti : une “Semaine de la justice” en trompe-l’œil ?

Une opération de communication qui heurte les graves allégations d’impunité
Lorsque le gouvernement djiboutien a lancé en grande pompe la « Semaine de la justice » pour célébrer l’État de droit et la transparence institutionnelle, nombre d’observateurs y ont vu une initiative louable. Mais à la lecture des dossiers accablants produits ces derniers mois par l’Union Djiboutienne pour les Droits Économiques, Sociaux et Culturels (UDDESC), l’événement ressemble davantage à une tentative de redorer l’image d’un système accusé d’opacité, de détournements massifs et de répression ciblée que d’un réel engagement envers la justice.
Les documents transmis par l’UDDESC aux autorités djiboutiennes, mais aussi à l’ONU, au GAFI, à l’OCDE et à d’autres institutions, décrivent un paysage institutionnel miné par des pratiques systémiques de détournement de fonds publics, d’ingérence présidentielle et de conflits d’intérêts. Selon l’UDDESC, malgré la gravité des faits exposés, aucune enquête judiciaire nationale n’a été ouverte concernant les violations présumées — un silence institutionnel qui contraste violemment avec la rhétorique officielle de promotion de l’État de droit.
- Un Fonds souverain dissous dans l’ombre
Le rapport de 62 pages consacré au Fonds souverain de Djibouti (FSD) décrit en détail des irrégularités majeures : opacité financière, absence totale d’audits depuis 2021 malgré une obligation légale, multiplication de partenariats non documentés, conflits d’intérêts flagrants, injections de fonds de la Caisse nationale de sécurité sociale, et surtout une dissolution unilatérale du FSD par décret présidentiel, en contradiction manifeste avec la loi fondatrice et le Code de commerce.
Ces éléments apparaissent noir sur blanc dans les pièces produites par l’UDDESC, qui parle d’un « détournement systématique » du FSD via des structures offshore et des schémas de gouvernance contournant les procédures légales.
La disparition de ce fonds stratégique, doté selon ces documents d’1,5 milliard de dollars, n’a donné lieu à aucune investigation publique, malgré les risques majeurs pour les finances nationales et les retraites, la CNSS ayant été mise à contribution avant même sa propre crise. L’UDDESC souligne que la suspension des soins pour certaines catégories de bénéficiaires découle directement de ces mécanismes.
2. Allégations de népotisme et d’ingérence politique
Les rapports insistent également sur une gouvernance jugée « capturée » par le cercle présidentiel, illustrée par des nominations de membres de la famille ou de proches du chef de l’État à des postes clés du FSD et d’autres institutions.
Un exemple détaillé dans les documents cite la nomination d’un analyste lié familialement au président et actionnaire d’entreprises offshore, situation décrite par l’UDDESC comme un « conflit d’intérêts systémique ».
L’organisation estime que ces pratiques violent non seulement la loi nationale sur la gouvernance publique, mais aussi plusieurs conventions internationales ratifiées par Djibouti, dont la Convention de l’ONU contre la corruption.
3. La justice accusée d’inaction
Dans une lettre officielle adressée au ministre de la Justice, l’UDDESC demande l’ouverture d’une enquête judiciaire approfondie ainsi qu’un audit international indépendant. La démarche se veut institutionnelle, argumentée et solidement référencée. Pourtant, aucune suite n’a été donnée à ces signalements.
Cette inaction est dénoncée par l’organisation comme une « paralysie volontaire » de la justice nationale lorsqu’il s’agit d’affaires impliquant de hauts responsables. Une contradiction majeure avec les discours institutionnels de la Semaine de la justice, qui prétend renforcer la lutte contre la corruption et promouvoir la transparence.
4. Des accusations d’emprise mafieuse sur l’État
Le rapport séparé consacré à « Qawlaysato » — décrit comme une organisation criminelle structurant l’exercice du pouvoir depuis des décennies — aggrave encore ce contraste.
Ce document, extrêmement détaillé, compile un ensemble d’allégations provenant notamment de rapports onusiens, de sources judiciaires et d’anciens agents de sécurité, décrivant une structure de type mafieux infiltrée au cœur de l’État. Les auteurs y analysent l’utilisation supposée de la force d’intimidation, de la sujétion des institutions, et de l’« omertà » — trois critères caractéristiques des organisations mafieuses selon le droit italien.
Dans cette perspective, l’absence de poursuites judiciaires ne serait pas un dysfonctionnement mais un indicateur du degré d’impossibilité institutionnelle : un système dans lequel l’État, loin de lutter contre la criminalité organisée, serait lui-même décrit comme capturé par elle.
5. Un fossé béant entre communication officielle et réalité documentée
Ainsi, la « Semaine de la justice » apparaît, à la lumière de ces documents, comme une opération de communication visant davantage à rassurer les partenaires internationaux qu’à répondre aux demandes d’enquêtes pourtant précises, argumentées et adressées formellement aux autorités.
La justice djiboutienne est célébrée, tandis que les demandes légales d’ouverture d’enquête restent lettre morte. L’État de droit est proclamé, alors que les organes de contrôle — Comité d’audit du FSD, Inspecteur général de l’État, Assemblée nationale — semblent avoir été contournés ou mis hors jeu, selon les documents.
La transparence est vantée, alors même que des pans entiers des investissements publics se déroulent dans la plus grande opacité.
6. Conclusion : une vitrine qui ne convainc plus
Les rapports fournis ne constituent pas des décisions judiciaires, mais ils forment un corpus cohérent d’allégations graves étayées par des références légales, financières et institutionnelles. Leur simple existence devrait, dans tout État attaché à la légalité, déclencher des mécanismes d’enquête, au minimum pour dissiper les doutes.
En l’absence de telles démarches, la Semaine de la justice ressemble moins à un élan réformateur qu’à une façade destinée à masquer une crise profonde de gouvernance et de confiance.
Tant que les institutions refuseront d’examiner ces accusations documentées, la célébration de l’État de droit restera, pour beaucoup d’observateurs, une promesse creuse — et pour ses détracteurs, l’expression d’une hypocrisie institutionnelle difficile à ignorer.
Hassan Cher
The English translation of the article in French.
Djibouti: A “Justice Week” Built on Illusion?
A PR Exercise Colliding with Serious Allegations of Impunity
When the Djiboutian government launched its highly publicized “Justice Week” to celebrate the rule of law and institutional transparency, many observers initially viewed it as a commendable initiative. Yet, in light of the damning files released in recent months by the Djiboutian Union for Economic, Social and Cultural Rights (UDDESC), the event appears far more like an attempt to burnish the image of a system accused of opacity, large-scale embezzlement and targeted repression than a genuine commitment to justice.
The documents submitted by UDDESC to Djiboutian authorities—along with the UN, the FATF, the OECD and other institutions—paint a picture of a governance apparatus undermined by systemic misappropriation of public funds, presidential interference and pervasive conflicts of interest. According to the organization, despite the seriousness of the alleged facts, no national judicial investigation has been opened. This institutional silence stands in stark contrast with official rhetoric promoting the rule of law.
1. A Sovereign Fund Dissolved in the Shadows
The 62-page report on the Djibouti Sovereign Wealth Fund (FSD) details major irregularities: financial opacity, a total absence of audits since 2021 despite legal requirements, a proliferation of undocumented partnerships, blatant conflicts of interest, injections of money from the National Social Security Fund, and above all, the unilateral dissolution of the FSD by presidential decree—an action that blatantly contradicts the founding law and the Commercial Code.
These elements appear explicitly in the documents produced by UDDESC, which describes a “systematic diversion” of the FSD’s assets through offshore structures and governance mechanisms designed to bypass legal procedures.
The disappearance of this strategic fund, estimated at USD 1.5 billion, has triggered no public investigation, despite major risks to national finances and pension systems, with the CNSS having been tapped even before entering its own crisis. UDDESC notes that the suspension of healthcare coverage for certain beneficiaries stems directly from these mechanisms.
2. Allegations of Nepotism and Political Interference
The reports also highlight a governance model allegedly “captured” by the presidential circle, illustrated by the appointment of family members and close associates to key positions within the FSD and other institutions.
One detailed example cites the appointment of an analyst with family ties to the president and shares in offshore companies—a situation UDDESC describes as a “systemic conflict of interest.”
The organization argues that these practices violate not only national public-governance laws but also several international conventions ratified by Djibouti, including the UN Convention Against Corruption.
3. A Justice System Accused of Inaction
In an official letter addressed to the Minister of Justice, UDDESC calls for the opening of a comprehensive judicial investigation and an independent international audit. The approach is institutional, detailed and extensively documented. Yet no action has been taken.
UDDESC denounces this inaction as a “deliberate paralysis” of the national justice system in cases involving high-level officials. This stands in stark contradiction with the institutional messaging of “Justice Week,” which claims to strengthen anti-corruption efforts and promote transparency.
4. Accusations of Mafia-Style Control Over the State
A separate report devoted to “Qawlaysato”—described as a criminal organization shaping political power for decades—deepens this contrast.
The detailed document compiles allegations from UN reports, judicial sources and former security officers, describing a mafia-style structure embedded at the heart of the state. The authors analyze the alleged use of intimidation, institutional subjugation and omertà—three defining characteristics of mafia organizations under Italian law.
From this perspective, the absence of judicial prosecutions is not a malfunction but a symptom of structural impossibility: a system in which the state, far from combating organized crime, is portrayed as captured by it.
5. A Wide Gap Between Official Communication and Documented Reality
Seen through the lens of these documents, “Justice Week” appears less like a reformist moment than a communication strategy aimed at reassuring international partners rather than responding to detailed, formally submitted requests for investigation.
Justice is being celebrated, while formal requests to launch investigations remain unanswered. The rule of law is proclaimed, even as oversight bodies—the FSD audit committee, the Inspector General, the National Assembly—appear to have been bypassed or neutralized, according to the documents.
Transparency is praised, even while vast portions of public investment operate under deep opacity.
6. Conclusion: A Showcase That No Longer Persuades
While the documents do not constitute judicial rulings, they form a coherent body of serious allegations supported by legal, financial and institutional references. In any state genuinely committed to legality, their mere existence should trigger investigative mechanisms—at minimum to dispel doubts.
In the absence of such steps, “Justice Week” looks less like a reform drive and more like a façade concealing a profound crisis of governance and trust.
As long as institutions refuse to examine these documented allegations, the celebration of the rule of law will remain, for many observers, an empty promise—and for critics, a striking display of institutional hypocrisy.
Hassan Cher


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