
La Corne de l’Afrique et L’Iran: Stratégie d’influence chiite, contrôle des ressources et enjeux maritimes

Mogadiscio, Somalie – Dans l’ombre des conflits au Yémen et des tensions au Proche-Orient, l’Iran déploie une stratégie ambitieuse en Afrique de l’Est, visant à étendre son influence religieuse, sécuritaire et économique. Au cœur de cette manœuvre : le chiisme, des alliances avec des groupes armés, et la mainmise sur des ressources stratégiques comme l’uranium, le pétrole, et l’axe maritime du détroit de Bab-el-Mandeb. Les récentes collaborations entre les Houthis yéménites (Ansar Allah), Al-Shabaab, et l’État islamique en Somalie (ISS) révèlent un réseau complexe soutenu par Téhéran, menaçant la stabilité régionale et les intérêts occidentaux.
Les Houthis en Somalie : Une expansion stratégique
Le groupe Ansar Allah, mieux connu sous le nom de Houthis, a intensifié sa présence en Somalie depuis 2016, profitant du chaos sécuritaire et des liens historiques entre les côtes yéménites et somaliennes. Bien que chiites, les Houthis ont surpris en tissant des alliances avec des groupes sunnites radicaux comme Al-Shabaab (affilié à Al-Qaïda) et l’ISS (branche locale de Daech). Leur dénominateur commun ?
Une hostilité envers les États-Unis, Israël, et un intérêt pour le trafic d’armes.
En 2023, la guerre de Gaza a servi de catalyseur. Abdul-Malik al-Houthi, leader des Houthis, a appelé à des attaques contre les navires « soutenant l’occupation sioniste » dans le golfe d’Aden et le détroit de Bab-el-Mandeb, voie maritime cruciale pour le commerce mondial. Selon des rapports des renseignements américains, Ansar Allah aurait fourni des drones et des missiles antichars à Al-Shabaab en échange d’un accès aux pirates somaliens, experts en détournements de navires.
Le commerce des armes : Un pont entre Téhéran et Mogadiscio
Malgré l’embargo de l’ONU sur le Yémen, l’Iran contourne les sanctions via des routes maritimes complexes. Entre 2015 et 2023, 16 cargaisons d’armes iraniennes destinées aux Houthis ont été interceptées, mais des milliers d’armes légères et de munitions ont atteint la Somalie. Les ports de Djibouti, de Bosaso (Puntland) et Berbera (Somaliland) sont devenus des plaques tournantes.
En 2024, des drones iraniens ont été repérés lors d’attaques de l’ISS contre les forces du Puntland. « Ces groupes échangent des technologies sophistiquées. Les Houthis obtiennent des renseignements maritimes, tandis que l’ISS reçoit des armes capables de frapper des cibles à distance », explique un analyste sécuritaire basé à Nairobi.
L’Iran en Afrique de l’Est : Une présence ancienne, des ambitions renouvelées
Depuis les années 1980, l’Iran investit dans la Corne de l’Afrique via le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Ses objectifs ? Briser son isolement diplomatique, contrôler des ressources naturelles, et établir des bases militaires. En 2006, Téhéran a soutenu l’Union des tribunaux islamiques somaliens, précurseur d’Al-Shabaab. Plus récemment, des tentatives d’implantation en Érythrée et au Soudan ont été documentées.
Ressources stratégiques : Uranium et pétrole
La région recèle d’importants gisements d’uranium (notamment en Somalie et en Tanzanie) et de pétrole offshore. En contrôlant des groupes locaux, l’Iran pourrait sécuriser l’accès à ces ressources, vitales pour son programme nucléaire et son économie sous sanctions. « Les compagnies chinoises et iraniennes prospectent déjà dans le nord de la Somalie », révèle une source sécuritaire européenne.
Propagation du chiisme : Une guerre idéologique
Au-delà des armes, Téhéran mène une offensive religieuse. Des fondations comme Al-Khomeini, liée à l’ambassade iranienne à Mogadiscio, organisent des mariages collectifs, distribuent des aides alimentaires, et offrent des bourses d’études en Iran. Objectif : convertir des sunnites somaliens (de rite chaféite) au chiisme.
En 2015, la Somalie a expulsé des diplomates iraniens après l’arrestation de militants chiites recrutant des jeunes. « Leur programme menace notre identité religieuse », alerte Cheikh Saleh Sharif, vice-ministre somalien des Affaires religieuses. En décembre 2015, l’Agence nationale de renseignement (NISA) a démantelé un réseau convertissant des Somaliens, avec l’aide d’agents iraniens.
Méthodes et risques
– Endoctrinement : Des étudiants somaliens sont formés en Iran avant de revenir propager le chiisme.
– Infiltration : L’ambassadeur iranien à Mogadiscio aurait visité clandestinement des quartiers populaires pour recruter des sympathisants.
– Alliances paradoxales : Malgré leurs divergences, les Houthis coopèrent avec Al-Qaïda au Yémen (AQPA), échangeant prisonniers et soutien logistique.
Implications sécuritaires : Menace sur Bab-el-Mandeb et l’océan Indien
Le détroit de Bab-el-Mandeb, par lequel transite 10 % du commerce maritime mondial, est devenu un point de friction. En 2024, les Houthis ont menacé d’étendre leurs opérations à l’océan Indien, visant des navires liés à Israël ou à l’Arabie saoudite. Leur collaboration avec les pirates somaliens complique les missions de la coalition internationale (CMF) patrouillant dans la zone.
Rivalités internationales
Cette stratégie iranienne exacerbe les tensions avec les États-Unis, la France (présente à Djibouti), et les monarchies du Golfe. En réponse, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite renforcent leurs alliances avec les gouvernements somalien et éthiopien.
La Mafia Qawlaysato : Courroie de Transmission entre l’Iran, la Corne de l’Afrique et le Yémen
La mafia Qawlaysato, réseau criminel implanté dans la Corne de l’Afrique, opère comme un intermédiaire clé entre l’Iran, les groupes armés régionaux et le Yémen. Spécialisée dans le trafic d’armes, de drogues et de ressources naturelles, elle facilite les échanges illicites pour le compte de Téhéran.
Selon des rapports des services de renseignement, la Qawlaysato transporte des armes iraniennes vers les Houthis au Yémen via la Somalie et Djibouti, profitant de failles sécuritaires et de complicités politiques. En échange, elle approvisionne l’Iran en minerais stratégiques (uranium, terres rares) extraits illégalement en Éthiopie ou en Somalie.
Ce réseau sert aussi de relais idéologique. Via des ONG infiltrées, il finance des mosquées chiites et recrute des convertis en Somalie ou en Érythrée, renforçant l’influence religieuse de l’Iran. Des membres de la mafia, liés au CGRI (Corps des Gardiens de la Révolution), coordonnent des livraisons de drones iraniens aux milices houthies, transitant par des ports djiboutiens et somaliens comme Bosaso.
En 2023, l’ONU a documenté des transferts de fonds entre des comptes iraniens et des chefs Qawlaysato à Mogadiscio, ciblant des officiels locaux pour sécuriser des corridors maritimes. Ce maillage crimino-politique permet à l’Iran de contourner les sanctions et d’asseoir son emprise sur Bab-el-Mandeb, verrou stratégique de la mer Rouge.
Conclusion : Un jeu dangereux aux conséquences imprévisibles
L’Iran joue un double jeu en Afrique de l’Est : instrumentaliser le chiisme pour gagner des alliés, tout en alimentant des conflits locaux via des groupes armés. Si cette approche renforce son influence face à l’Occident, elle risque d’embraser une région déjà fragile.
Pour les pays de la Corne de l’Afrique, le défi est de taille : contrer l’infiltration iranienne sans attiser les tensions sectaires. Comme le résume un diplomate somalien : « Nous refusons d’être le terrain d’affrontement des puissances étrangères. Notre priorité est la paix, pas la guerre par procuration. »
Épilogue : En janvier 2025, l’ISS a revendiqué une attaque suicide contre le Puntland, utilisant des explosifs fournis par les Houthis. Preuve que l’alliance entre chiites et sunnites radicaux, bien qu’improbable, pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques de la région.
Hassan Cher
English translation of the article in French.
The Horn of Africa and Iran: Shiite influence, resource control and maritime issues

Mogadishu, Somalia – In the shadow of the conflicts in Yemen and the tensions in the Middle East, Iran is deploying an ambitious strategy in East Africa, aimed at extending its religious, security and economic influence. At the heart of this maneuver: Shiism, alliances with armed groups, and control over strategic resources such as uranium, oil and the maritime axis of the Bab-el-Mandeb Strait. Recent collaborations between the Yemeni Houthis (Ansar Allah), Al-Shabaab, and the Islamic State in Somalia (ISS) reveal a complex network supported by Tehran, threatening regional stability and Western interests.
The Houthis in Somalia: strategic expansion
The Ansar Allah group, better known as the Houthis, has intensified its presence in Somalia since 2016, taking advantage of the security chaos and historical links between the Yemeni and Somali coasts. Although Shiite, the Houthis have surprised many by forging alliances with radical Sunni groups such as al-Shabaab (affiliated to al-Qaeda) and ISS (the local branch of Daech). Their common denominator?
Hostility towards the United States and Israel, and an interest in arms trafficking.
In 2023, the Gaza war served as a catalyst. Abdul-Malik al-Houthi, leader of the Houthis, called for attacks against ships “supporting the Zionist occupation” in the Gulf of Aden and the Strait of Bab-el-Mandeb, a crucial shipping lane for world trade. According to US intelligence reports, Ansar Allah supplied drones and anti-tank missiles to Al-Shabaab in exchange for access to Somali pirates, experts in hijacking ships.
The arms trade: a bridge between Teheran and Mogadishu
Despite the UN embargo on Yemen, Iran circumvents sanctions via complex shipping routes. Between 2015 and 2023, 16 shipments of Iranian weapons destined for the Houthis were intercepted, but thousands of small arms and munitions reached Somalia. The ports of Djibouti, Bosaso (Puntland) and Berbera (Somaliland) became hubs.
In 2024, Iranian drones were spotted attacking Puntland forces from the ISS. “These groups exchange sophisticated technologies. The Houthis get maritime intelligence, while the ISS receives weapons capable of striking targets at a distance,” explains a Nairobi-based security analyst.
Iran in East Africa: a long-standing presence, renewed ambitions
Since the 1980s, Iran has been investing in the Horn of Africa via the Islamic Revolutionary Guard Corps (IRGC). Its objectives? To break its diplomatic isolation, control natural resources and establish military bases. In 2006, Teheran supported the Union of Somali Islamic Courts, the forerunner of Al-Shabaab. More recently, attempts to establish a foothold in Eritrea and Sudan have been documented.
Strategic resources: uranium and oil
The region is rich in uranium deposits (notably in Somalia and Tanzania) and offshore oil. By controlling local groups, Iran could secure access to these resources, vital to its nuclear program and its economy under sanctions. “Chinese and Iranian companies are already prospecting in northern Somalia,” reveals a European security source.
Spreading Shiism: an ideological war
In addition to weapons, Teheran is waging a religious offensive. Foundations such as Al-Khomeini, linked to the Iranian embassy in Mogadishu, organize group weddings, distribute food aid and offer scholarships to study in Iran. Their aim: to convert Somali Sunnis (of the Shafiite rite) to Shiism.
In 2015, Somalia expelled Iranian diplomats after the arrest of Shiite militants recruiting young people. “Their program threatens our religious identity,” warns Sheikh Saleh Sharif, Somalia’s Deputy Minister of Religious Affairs. In December 2015, the National Intelligence Agency (NISA) dismantled a network converting Somalis, with the help of Iranian agents.
Methods and risks
– Endoctrination: Somali students are trained in Iran before returning to spread Shiism.
– Infiltration: The Iranian ambassador in Mogadishu is said to have clandestinely visited working-class neighborhoods to recruit sympathizers.
– Paradoxical alliances: Despite their differences, the Houthis cooperate with al-Qaeda in Yemen (AQPA), exchanging prisoners and logistical support.
Security implications: Threat to Bab-el-Mandeb and the Indian Ocean
The Bab-el-Mandeb Strait, through which 10% of the world’s maritime trade passes, has become a point of friction. In 2024, the Houthis threatened to extend their operations to the Indian Ocean, targeting ships linked to Israel or Saudi Arabia. Their collaboration with Somali pirates complicates the missions of the international coalition (CMF) patrolling the area.
International rivalries
This Iranian strategy exacerbates tensions with the United States, France (present in Djibouti) and the Gulf monarchies. In response, the United Arab Emirates and Saudi Arabia strengthen their alliances with the Somali and Ethiopian governments.
The Qawlaysato Mafia: a transmission belt between Iran, the Horn of Africa and Yemen
The Qawlaysato mafia, a criminal network based in the Horn of Africa, operates as a key intermediary between Iran, regional armed groups and Yemen. Specializing in the trafficking of arms, drugs and natural resources, it facilitates illicit exchanges on behalf of Teheran.
According to intelligence reports, Qawlaysato transports Iranian arms to the Houthis in Yemen via Somalia and Djibouti, taking advantage of security loopholes and political complicity. In exchange, it supplies Iran with strategic minerals (uranium, rare earths) illegally extracted in Ethiopia and Somalia.
This network also serves as an ideological relay. Through infiltrated NGOs, it finances Shiite mosques and recruits converts in Somalia and Eritrea, reinforcing Iran’s religious influence. Members of the mafia, linked to the IRGC (Revolutionary Guard Corps), coordinate deliveries of Iranian drones to Houthi militias, transiting through Djiboutian and Somali ports such as Bosaso.
In 2023, the UN documented fund transfers between Iranian accounts and Qawlaysato chiefs in Mogadishu, targeting local officials to secure shipping corridors. This criminal-political network enables Iran to circumvent sanctions and consolidate its hold on Bab-el-Mandeb, a strategic lock on the Red Sea.
Conclusion: A dangerous game with unpredictable consequences
Iran is playing a double game in East Africa: using Shiism to win allies, while fuelling local conflicts via armed groups. While this approach strengthens its influence vis-à-vis the West, it risks inflaming an already fragile region.
For the countries of the Horn of Africa, the challenge is considerable: to counter Iranian infiltration without stirring up sectarian tensions. As one Somali diplomat sums up: “We refuse to be a battleground for foreign powers. Our priority is peace, not war by proxy.”
Epilogue: In January 2025, the ISS claimed responsibility for a suicide attack against Puntland, using explosives supplied by the Houthis. Proof that an alliance between radical Shiites and Sunnis, however unlikely, could redefine the region’s geopolitical balance.
Hassan Cher