Somalie: Le véritable coût des restrictions imposées aux médias en Somalie

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carte liberté d'expression 2014Les pressions et les dangers auxquels sont confrontés les journalistes en Somalie pèsent sur la couverture des affaires politiques sensibles, mais également sur celle des enjeux humanitaires d’importance.

La Somalie compte parmi les pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, d’après le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Cinquante-six journalistes y ont été tués depuis 1992, dont cinq en 2014.

« Les journalistes sont menacés au quotidien pour leur travail (que ce soit anonymement par téléphone ou en personne) par toute une variété d’acteurs – essentiellement (mais pas seulement) des militants d’Al-Shabab », a dit Tom Rhodes, représentant Afrique de l’Est pour le CPJ, dans un e-mail de réponse à nos questions.

« Les médias appartiennent pour l’essentiel à des personnes n’étant pas journalistes et ayant leurs propres intérêts politiques, qui peuvent compromettre la sécurité de leur personnel. Ces facteurs contribuent à un manque de médias véritablement indépendants dans le pays, même à Mogadiscio où cohabitent une pléthore de stations de radio privées et au moins deux journaux. »

« Cette vague d’attaques contre la liberté de la presse et une certaine culture de l’impunité ont contraint les journalistes à pratiquer l’autocensure », a dit Mohamed Ibrahim, le secrétaire général de l’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ). « Malheureusement, il existe certaines régions en Somalie – dont le Somaliland [un État autoproclamé] et les régions litigieuses du Nord – où la liberté de la presse est proprement inexistante. »

Outre les cinq journalistes assassinés en Somalie l’année dernière, sept autres ont été blessés, 47 ont été arrêtés et cinq médias ont fait l’objet d’attaques, selon le rapport annuel de la NUSOJ.

D’après Louise Tunbridge, directrice des programmes à Radio Ergo – une radio diffusant des nouvelles humanitaires en somali pour la Somalie – les conditions imposées par les bailleurs de fonds sont « extrêmement restrictives », même si elles évitent les risques auxquels s’exposent les journalistes politiques ou généralistes.

« Se déplacer est dangereux, souvent impossible ; il est difficile de faire parler les gens ; les communications sont coupées ou peu fiables en de nombreux endroits ; manœuvrer entre les pouvoirs en place requiert de la résilience ; on s’étonne souvent du simple fait que nos pigistes [contributeurs free-lances] parviennent à nous communiquer quelque chose ! », a-t-elle dit à IRIN.

Il est particulièrement compliqué de se faire l’écho de l’impact humanitaire du régime draconien d’Al-Shabab dans les régions sous le contrôle du groupe. L’insurrection islamiste a recours à sa propre radio, Andalus, et à différents sites Internet pour diffuser ses messages de propagande. Rares sont les autres journalistes pouvant travailler en sécurité dans ces régions.

Le producteur de Radio Ergo, Mohammed Hassan, a cité quelques exemples : « la semaine dernière, j’ai dépêché notre journaliste à Baidoa pour la réalisation d’un reportage sur le blocus du quartier de Qansadhere, où de graves pénuries alimentaires sont à déplorer ; les infrastructures sanitaires posent problème ; le prix des denrées alimentaires a doublé, les femmes meurent dans les maternités faute de traitement et la communauté locale a commencé à abattre des arbres pour construire une piste d’atterrissage – le seul moyen selon eux d’avoir accès à l’aide pour survivre à cette période critique ». Il a toutefois ajouté qu’Al-Shabab avait entièrement condamné le réseau téléphonique : il cherche à obtenir des informations, mais sans résultat.

« Toujours la semaine dernière, le même pigiste a tenté de témoigner de l’insuffisance des vaccinations affectant les jeunes enfants de Wajid, à l’origine de la propagation de cinq maladies meurtrières. Il a dit que les gens étaient trop effrayés pour nous parler. »

M. Hassan a expliqué que le reporter de Radio Ergo à Bardera, qui se trouve sous contrôle d’Al-Shabab, « fait son travail avec une certaine liberté, [mais] limite ses appels et ses mouvements, doit toujours se montrer méfiant, et se fait aussi discret que possible ».

Les journalistes cherchant à couvrir les opérations militaires du gouvernement – visant à contrer Al-Shabab aux côtés des forces de l’Union africaine – se heurtent aux mêmes difficultés.

« Les forces de sécurité somaliennes sont généralement très strictes avec les journalistes. Il est dangereux de parler d’elles », a dit Abdikarim Hussein, un jeune journaliste et activiste basé à Mogadiscio. « Si bien que les journalistes ont tendance à éluder les sujets clés d’intérêt général par souci pour leur propre sécurité. »

Le gouvernement et son appareil de sécurité ont durement réagi à des rapports critiques récents.

Le 1er mars, un tribunal de Mogadiscio a condamné des journalistes du réseau d’information privé Shabelle à des amendes allant jusqu’à 13 000 dollars, alors qu’ils avaient déjà passé 8 mois derrière les barreaux sans avoir été formellement inculpés. Ils avaient été arrêtés en août de l’année dernière, lors d’une descente des services de renseignement et des forces de l’ordre dans les locaux de Shabelle, qui s’était soldée par la fermeture des deux stations de radio de la chaîne et l’arrestation de 19 personnes accusées de semer la discorde parmi les clans de Mogadiscio.

En février 2013, Abdiaziz Abdinur Ibrahim, un journaliste indépendant, a été condamné à un an de prison par un tribunal de Mogadiscio pour avoir interviewé une femme qui déclarait avoir été violée par un agent des forces de l’ordre. La femme a elle aussi été condamnée à un an de prison pour accusations mensongères à l’encontre d’une agence de sécurité de l’État.

Cette histoire a éclaté à une période où circulaient des rapports faisant état de violences sexuelles perpétrées par des hommes portant l’uniforme des forces gouvernementales contre des femmes vivant dans des camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP). À la suite de l’arrestation de M. Abdiaziz et de la victime de viol présumée, ces rapports se sont taris. M. Abdiaziz a finalement été libéré après quatre mois de détention, sous la pression de la communauté internationale et des groupes de défense des droits de l’homme.

Les pressions exercées à l’encontre des journalistes concernent différentes administrations. La MAP – l’association des médias du Puntland, une région semi-autonome du Nord – accuse les autorités d’y avoir bloqué cinq sites Internet en octobre dernier. « Ces sites sont toujours fermés. Ils ont été bloqués sur ordre du bureau de la communication du palais de la présidence du Puntland sans la moindre décision de justice », a souligné le directeur de l’association, Faisal Khalif Barre.

Pour Abdulhakim Shuriye, directeur de programme auprès de l’Organisation de développement de Djouba, les agences d’aide humanitaire dépendent d’une presse opérationnelle.

« Notre partenariat avec les médias locaux est absolument fondamental en des temps si difficiles, alors que le pays est confronté à une crise humanitaire », a-t-il dit. « Ils entretiennent une relation directe avec la communauté et peuvent atteindre des personnes auxquelles nous n’avons pas accès. »

« Les journalistes ont un rôle important à jouer tandis que les Somaliens se relèvent de plusieurs décennies de conflit et s’attellent à un agenda ambitieux de mise en place d’un appareil d’État et de construction de la paix », a dit Aleem Siddique, le porte-parole de la mission des Nations Unies en Somalie, à IRIN.

« Une presse libre permet aux personnes d’accéder à l’information dont elles ont besoin pour prendre des décisions importantes dans leurs vies », a-t-il dit. « Elle permet à ces personnes de mieux comprendre les questions les affectant, avec leurs familles et leurs communautés, et les aide à exiger des autorités qu’elles rendent compte de leurs actions. »

Le journalisme d’investigation est de plus en plus rare et la transparence des opérations humanitaires s’en voit affectée, de l’avis de journalistes de Mogadiscio.

« De nombreuses personnes se plaignent auprès de nous que l’aide a été mal gérée par les fonctionnaires et les forces de l’ordre, mais il nous est impossible de relater de telles histoires, car elles impliquent des personnes au pouvoir », a dit un journaliste local à Mogadiscio, qui a demandé à être identifié par son seul prénom, Mohamed.

« Le harcèlement commence lorsque vous demandez aux institutions concernées de réagir. Dans ces conditions, il est préférable de rester discrets pour notre sécurité », a-t-il dit.

« Une couverture objective de ces questions par la presse représente l’un des rares moyens qu’ont les Somaliens d’exiger du gouvernement qu’il rende des comptes », a dit Mohamed.

mh/am/rh-xq/amz

IRIN News


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Authored by: Hassan Cher Hared

Hassan Cher Hared

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